HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)

Chapitre 30

Je reconnais les maisons, la grande place et le grand chêne. Sauf que les images qui se succèdent n'ont rien à voir avec ce qui s'est véritablement passé. J'ai survécu à un massacre gratuit et épouvantable organisé par Aubry. Pourtant, les séquences et les explications qui les accompagnent veulent faire croire que les Veilleurs sont parvenus à stopper un énorme complot visant la destruction d'une partie du Deuxième Quartier. Population comprise. Le ministère de la Défense Nationale a manipulé les images pour légitimer l'encadrement militaire excessif de tous les lieux de vie. Une volonté de renforcement des équipes est même à l'étude. Ce serait là l'unique moyen d'assurer la sécurité de la population des Deuxième Quartier (et du Premier Quartier en cas d'intrusion). De plus, d'après le reportage, les attaques augmentent ainsi que le nombre des victimes innocentes. Des images de je ne sais où ont été intégrées aux séquences du village. Résultat, de beaux témoignages d'hommes et de femmes que je n'ai jamais vus assurent que les rebelles s'en sont pris à eux sans aucune explication, ont détruit leur habitation pour leur voler leurs biens et leur nourriture. (Forcément, les maisons détruites apportent un poids supplémentaire aux menaces qui planent !) En tout cas, les Veilleurs présents sur place ont tout fait pour les protéger. Un rire nerveux me secoue quand des remerciements jaillissent de la bouche des menteurs. C'est n'importe quoi !

Et surtout inquiétant. Avec de tels discours, chaque habitant va exiger la tête des rebelles et accepter d'autant plus la présence rassurante des Veilleurs. Sur demande de notre Dirigeant, des tickets de rationnement seront attribués à tout individu qui fournira des informations fiables pour faciliter leur capture. Il déplore ensuite les victimes, assure sa pleine sympathie aux familles et promet de tout faire pour arrêter cette vague de violence inacceptable.

Un portrait de Vivien est diffusé. Il est présenté comme armé, instable et excessivement dangereux. Les cicatrices sur son visage sont d'ailleurs la preuve irréfutable de sa folie. Des témoins disent l'avoir vu s'arracher la peau en rigolant comme un dément. Vivien garde le silence, il se contente d'écouter toutes les absurdités qui circulent sur son compte. Deux choses seulement sont exactes : son lien familial avec Nazaire (nommé le commanditaire des soi-disant actes terroristes) et son appartenance au groupe des rebelles.

Les rebelles, d'ailleurs... Ces derniers sont décrits comme des profiteurs, des malhonnêtes et des manipulateurs qui volent les plus pauvres pour s'enrichir, quitte à user de tous les moyens pour y parvenir. Ce sont de « sales parasites » qu'il faut absolument éradiquer. Pour faire simple, tout ce qui va mal dans le Deuxième Quartier, c'est forcément leur faute. Vivien lance plusieurs autres enregistrements. Ils sont plus courts et tout aussi haineux. Les rebelles sont des violeurs, des criminels qui, s'ils ne sont pas rapidement stoppés, détruiront tout sur leur passage. Trois autres affrontements sanglants ont eu lieu depuis le massacre. Trois autres villages entièrement détruits. Des morts et des blessés apparaissent sur l'écran pour attester de cette « vérité ».

Afin que la population puisse facilement identifier les ennemis des Quartiers, le ministère livre des détails pour les reconnaître : ce sont des individus marginaux qui transgressent les lois destinées à maintenir la paix et la Grande Moralité (les alcooliques, les handicapés, les drogués, les sans-abris, les femmes qui utilisent des contraceptifs, les hommes et les femmes qui ne suivent pas les amours « naturels », etc.). Je songe aux deux filles de mon école qui ont été exécutées parce qu'elles ont été surprises à s'embrasser. Même si je me suis tenue loin d'elles, je sais qu'elles étaient gentilles et bonnes élèves. Les imaginer, un instant, s'amuser à martyriser les autres pour leur bon plaisir est aussi choquant que de m'imaginer faire une balade avec un Veilleur sous un beau soleil d'été.

Je me suis avancée dans la pièce. Je ne souhaite pas me cacher ni faire croire à Vivien que je l'espionne. Il n'est pas surpris de me voir ici.

— Voilà à quoi s'amusent tes petits copains. Tu peux les féliciter, c'est ce que j'appelle un bon bourrage de crâne. Et ce n'est que le début, ils ne vont pas en rester là. Les drames vont se succéder. De plus en plus sanguinaires. Jusqu'à ce que chaque habitant des Quartiers se soit rallié aux Veilleurs. Des millions de combattants prêts à mourir pour une juste cause. Formidable, pas vrai ?

Je ne sais pas ce que représente ce « million », mais je comprends néanmoins que le chiffre est énorme. La totalité du pays que j'ai vu en carte... contre le bunker ? Je n'ai pas visité chaque pièce, pourtant je devine que cet endroit ne peut pas être aussi grand que cette France dont on m'a montré les frontières. Vivien a raison : si Lucien persiste à vouloir renverser le gouvernement, il condamnera tout le monde. À moins que... Vivien pose une poupée sur le bureau qui interrompt mes pensées. La robe est déchirée, il manque un bouton au niveau des yeux, mais je la reconnais. C'est celle d'Emma.

— Peu avant l'attaque, les Veilleurs ont pris d'assaut ton ancien appartement. L'épouse de ton frère et son bébé ont été arrêtés et embarqués dans un camion. (Il guette ma réaction. Je suis sous le choc de la nouvelle. Si Emma était avec Perronne, alors elle ne pouvait pas être entre les mains d'Aubry.) Ils ont tout saccagé. L'appartement a été reloué, il y a trois jours. Ta belle-sœur et ta nièce sont portées disparues, ainsi que ton frère. Des soupçons de vol pèseraient sur lui. Du matériel d'usine, d'après ce que je sais.

Je n'arrive pas à articuler un mot. Je sais depuis peu que Pierre n'a jamais travaillé à l'usine, comme je sais qu'il n'aurait rien fait pour saboter son départ dans le Premier Quartier. Avant l'attaque.Il m'a menti pour Emma. Il m'a fait croire qu'elle était en danger pour que je lui donne les informations dont il avait besoin pour accéder au Premier Quartier. Le troisième billet n'a jamais été pour moi. Depuis le début, il comptait m'évincer. Il m'a manipulée et j'ai été assez bête pour ne pas m'en rendre compte ! Je me déteste et je le déteste encore plus. Les larmes ne viennent pas, j'ai déjà trop pleuré.

— Tout laisse à penser qu'ils ont été tués.

Mes lèvres restent scellées. La colère pourrait me forcer à dire des choses que je regretterai amèrement. Pierre est vivant et il est très certainement au courant de ce qui est arrivé dans le village. Il m'a vue sur les images, il me croit morte. Pour lui, rien de plus facile aujourd'hui que de faire son deuil et de m'oublier. Ainsi que tout le reste. Après tout, un cadavre ne dévoilera jamais son secret. Je suis hors de moi. Je songe à le dénoncer, à lui mettre le drame sur le dos, puis je pense à Emma et mon envie de vengeance s'estompe. Je suis pieds et poings liés. Sur l'écran, Aubry me nargue, son bâtonnet blanc entre les lèvres. Je retourne toute ma rage contre lui. Tout est sa faute, avant même celle de Pierre.

— Je veux qu'il paye.

Vivien sait parfaitement de qui je parle.

— Il est à moi.

— Alors, je t'aiderai.

Il y a quelques jours, j'aurais gardé les yeux baissés, désormais je tiens bon tandis qu'il me fixe sévèrement.

— Pas question.

— Tu crois être le seul à vouloir te venger ? Sans ton oncle et ta tante, je serais morte avec les autres. Je veux que cette ordure paye pour ses crimes !

Et pour tout ce qu'il m'a fait subir.

Je le désire tellement que même Vivien ne remet pas en doute ma sincérité. Sa méfiance à mon égard n'a toutefois pas disparu.

La vengeance est la seule chose qui nous lie désormais.

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Hello les amis ! 😁

Le chapitre 30 a un peu tardé (une semaine de retard), toutes mes excuses ! Je vous en souhaite une excellente lecture.

Des bisous. 💙