HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)

Chapitre 32

Ombeline ne dit rien. À en juger sa tête, elle n'a fait que pleurer depuis son réveil. Je sais qu'elle a entendu et compris chaque mot que j'ai prononcé. C'est tellement dingue et surréaliste que quelquefois, moi-même, je me demande si je ne suis pas encore dans un de mes affreux cauchemars. Dans ces moments-là, j'espère que je vais bientôt me réveiller pour découvrir que nos familles sont en vie, que Pierre est mon héros... Mais la réalité finit par me rattraper et elle est encore plus douloureuse.

Tout est réel. Comme le pacte que j'ai conclu avec Vivien.

— Et s'ils nous mentaient eux aussi ? m'interroge Ombeline. Qu'est-ce qui nous prouve que c'est eux qui disent la vérité ? On pourrait très bien être dans le Premier Quartier, tout ça, ça ne veut rien dire.

— J'ai vu les images de mes propres yeux. J'ai entendu le ministère mentir sur ce qui s'est passé dans le village.

— Ça ne prouve rien.

Pourtant, elle se mord les lèvres, de plus en plus indécise. Elle n'est pas aveugle. Elle voit bien que nous sommes entourées d'objets dont nous ignorons tout. De plus, un médecin est venu lui rendre visite sans réclamer de vivres en échange ou d'argent. Dans le Deuxième Quartier, les consultations se paient avant le service, et je vois mal un Premier Quartier nous faire la charité. Sans oublier, tout le reste : nos sauveurs et leurs étranges apparences, cet endroit.

— Mais, toi, tu les crois ?

Mes doutes se sont envolés au petit-déjeuner.

— Oui.

Je lui laisse le temps de digérer la nouvelle.

— À ton avis, qu'est-ce qu'ils vont faire de nous ?

Elle attend la réponse comme une sentence qui tarde à venir et qui met ses nerfs à rudes épreuves. Il y a eu assez de mensonges, autant qu'elle sache d'emblée à quoi s'attendre.

— Lucien m'a demandé de rejoindre ses troupes pour renverser le gouvernement. Je suppose que tu recevras la même proposition.

Elle reste silencieuse un long moment, perdue dans ses pensées moroses.

— Et si je ne veux pas. Qu'est-ce qui me reste comme choix ? Tu penses qu'ils vont me laisser vivre ici ?

Il n'y a pas le moindre espoir dans sa voix. Nous sommes toutes les deux nées dans un monde où le gouvernement traque et condamne sévèrement ceux qui n'ont pas la moindre utilité. Ou qui ne correspondent pas à leurs critères. J'aimerais lui dire que tout ira bien, mais c'est faux. Que ce soit dans le bunker ou dans le Deuxième Quartier, les vivres sont limités. Lucien n'en gaspillera pas pour un individu qui ne remplit aucun rôle dans ses plans. Moi-même, si je ne me décide pas à faire partie de ses troupes, je devrais quitter les lieux rapidement.

— Il aurait peut-être mieux valu que je meure, moi aussi, déclare Ombeline sur un ton qui me fait froid dans le dos.

— Ne dis pas n'importe quoi.

— Je ne plaisante pas. Je ne peux pas retourner là-bas. Tu aurais dû me laisser mourir. Si j'avais été à ta place, je ne suis même pas certaine que je me serais ennuyée à te sauver !

Je suis trop surprise par sa réaction pour rétorquer quoi que ce soit. Elle n'ose plus me regarder. Il y a peu de temps encore, j'aurais été franchement agacée par son habitude à s'apitoyer sur son sort, mais vu tout ce par quoi nous sommes passées, j'ai du mal à le lui reprocher.

— Tu n'es pas coupable d'être encore en vie, tu sais.

La seule coupable ici, c'est moi.