Chapitre 19

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Quoi ?

- J'en suis sûre, insiste Pauline. Tu ne respirais plus. Tu n'avais plus de pouls.

- Elle dit vrai, me confirme sa sœur, qui me fixe comme si j'étais un monstre. Tu ne devrais pas être vivante. C'est... impossible !

Pauline m'explique alors ce qu'il s'est passé. Le temps qu'elle comprenne qu'elle avait été piégée et qu'elle me retrouve, j'étais déjà pendue au bout d'une corde. Morte. Pour expliquer ma disparition aux Veilleurs, le village aurait prétendu que je m'étais aventurée dans les champs ou que j'avais fui - par peur, par goût de liberté, peu importe. Comme on n'aurait jamais retrouvé mon cadavre, on aurait fini par conclure que je pourrissais quelque part. Constitution fragile, petite santé... Horrible sort, mais pas improbable. Si Ombeline n'avait pas remarqué le léger soupir qui avait franchi mes lèvres au moment où les villageoises s'étaient décidées à creuser un trou au plus vite - avant une descente impromptue des Veilleurs -, j'aurais été enterrée vivante.

Cette nouvelle me fait froid dans le dos. Je tremble de la tête aux pieds, tandis qu'un silence s'abat dans la pièce. Pesant. Rempli de questions silencieuses. Je vois bien que Pauline se demande si je suis au courant pour la drogue qu'elle m'administre, si j'ai fait exprès de faire semblant de dormir ou si j'étais réellement fatiguée. Jeter la boisson ne fait pas de moi une espionne, ou une traîtresse, juste une fille qui n'a pas envie de la boire et qui ne veut pas se montrer impolie. Elle ne sait clairement pas quoi faire de moi. Si ce n'est me garder en vie jusqu'à ce qu'elle ait une réponse. De son côté, se défendre d'un tel acte reviendrait à avouer en partie qu'elle me drogue depuis mon arrivée. L'odeur est la même dans chaque maudite tasse qu'elle me donne après le déjeuner pour lui permettre de vaquer à ses occupations. Sans l'avertissement de Pierre, j'aurais été incapable de lutter quand Marie et sa complice sont venues me chercher. Elles ont mis plus du temps pour me pendre, du coup. Quelles idiotes ! Si elles s'étaient contenté de m'étouffer avec un oreiller, le résultat aurait été très différent. A moins qu'elles espéraient faire passer ça pour un suicide. Elles me le paieront !

Un sanglot d'Ombeline me coupe dans mes réflexions et me rappelle qu'elle est toujours là. Elle se tient à l'écart et murmure dans ses poings serrés je ne sais quoi. Elle tremble comme une feuille. J'ai tellement de colère en moi que la voir ainsi me donne envie de la secouer comme un prunier. Ou de lui crier dessus.

- La femme qui t'a fait pendre, c'est sa mère, m'explique Thérèse en me fusillant du regard. (Il est évident qu'elle regrette que je ne sois pas morte.) Que ce soit bien clair entre nous, je ne crois pas à tes petits airs innocents... Si j'avais été à la place de Marie... !

- Thérèse, ça suffit, la coupe Pauline, d'une voix où perle l'impatience et l'agacement. (M'avoir sur le dos lui complique la vie, c'est certain.) Marie a été trop loin. Elle n'avait aucun droit de faire ce qu'elle a fait.

- Oh, arrête ! Tu la connais aussi bien que moi ! Elle n'aurait jamais agi de la sorte si elle ne craignait pas pour sa famille ! Cette fille... !

- Mélanie a quitté sa famille et la ville où elle habitait pour croupir ici. Dans un village en pleine campagne, un monde qu'elle connaît à peine. Et je dois dire qu'aucun d'entre nous n'avons fait le moindre effort pour l'accueillir comme il se doit. Elle était terrifiée, elle n'aurait jamais dû avoir un couteau sur elle, on est bien d'accord. Oui, elle a commis une erreur, mais cela ne se reproduira plus.

Pauline est une excellente menteuse. Rien dans son attitude ne trahit son mensonge : sa voix est forte et ne tremble pas, son regard est fixe... Aucun geste particulier qui supposerait un malaise.

- Pas vrai, Mélanie ?

- J... O-Oui, je parviens à répondre d'une voix très grave.

Cet effort m'arrache une grimace. Pauline enchaîne, sans temps mort :

- Si Vivien ne réclame pas justice, c'est la porte ouverte pour que chacun fasse n'importe quoi dans ce village. Ce sera pire que si des Veilleurs décident de tous nous aligner pour nous exécuter. J'apprécie Marie, moi aussi, elle fait beaucoup pour notre communauté. Elle est forte, serviable, et surtout intelligente. Elle savait parfaitement qu'en agissant de la sorte il y aurait des conséquences.

Thérèse n'est pas de cet avis, mais elle se retient de poursuivre cette conversation. Ombeline a enfoui son visage dans ses mains en éclatant en sanglots. Cette fille ne sait donc que pleurer ? Pauline m'apprend que les hommes sont rentrés. Ils sont tous réunis sur la grande place. Je ne suis pas surprise de savoir que seuls Nazaire et Vivien sont de mon côté - pour la raison évoquée par Pauline très certainement. Les villageois ne veulent pas de moi et ceux qui auraient à redire sur l'attitude de cette Marie sont bien trop lâches pour oser s'exprimer.

- Je veux parler à ma femme. Sortez.

Vivien est sur le seuil de la porte. Je baisse les yeux, plus par conditionnement que par envie. J'ai encore du mal à croire tout ce qui arrive. Je suis prise entre la peur, la colère et une irrépressible envie de tous les frapper jusqu'au dernier.

J'entends la porte se refermer. Vivien ne juge pas nécessaire de me demander comment je vais, ni même s'inquiéter de mes blessures. Il se contente de me demander si je peux me lever et si je me sens capable de marcher. Je ne m'attendais à rien de sa part, mais un petit mot gentil aurait été malgré tout le bienvenu. J'aurais peut-être remis en cause mon avis sur cet imbécile grincheux, brutal et désagréable.

- Les hommes m'ont demandé de venir te chercher. Allez, lève-toi.

Je me revois remonter les rues devant les habitantes décidées à se débarrasser de moi ou à ne pas intervenir. Vu les dégâts que les Veilleurs ont causés, il n'y a aucune raison pour que mon sort s'arrange avec l'arrivée des maris, des frères et des pères. Marie a peut-être des ennuis, mais de mon côté mon sort n'est pas plus enviable.

Je devrais être terrifiée, pourtant mes poings se serrent, mes lèvres se crispent, tandis qu'une volonté farouche de vivre m'envahit.

Au fond de moi, la gamine de cinq ans, capricieuse et butée, se débat avec ses chaînes.
Et elles sont à deux doigts de rompre.

💜💙🧡 Note de l'autrice 💜💙🧡

Hello tout le monde !

Je suis de retour avec le chapitre 18 et 19 (trop long pour être mis en un seul bloc) après deux semaines d'interruption. ^^ Beaucoup pensaient que Vivien ou Pauline allaient sauver Mélanie. Impossible, les amis ! Vivien ne rentre que le soir et Pauline était piégée ailleurs. Cela aurait été trop facile que le premier et/ou la deuxième arrivent à temps. ^^

Vous allez me dire : c'est impossible que Mélanie soit vivante après avoir été pendue et retrouvée morte. Détrompez-vous, il existe un cas réel de survie après une pendaison alors qu'il n'y avait plus de signes vitaux (c'est historique et exceptionnel, je vous l'accorde, un seul cas a été recensé et c'était au XVIIème siècle...).

Mélanie en a un peu ras-la-casquette de tout ce qui lui arrive, ce qui s'entend parfaitement. lol Mais elle doit être prudente, car le reniement, la trahison et la mort ne sont jamais très loin.

Des bisous.

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