Chapitre 22

2.3K 199 22
                                    

Je suis réveillée avant que le réveil de Nazaire ne sonne. Ma gorge et ma tête me font encore souffrir, mais au moins je peux me lever et marcher jusqu'à la porte de ma chambre sans avoir besoin de réveiller Vivien pour qu'il me soutienne. Quant à ma main, il faudra des jours supplémentaires pour qu'elle cicatrise.

La nuit a été courte. Pour tout le monde. Vivien s'est tourné et retourné dans le lit, au point que j'ai dû me faire violence pour ne pas m'allonger par terre dans le seul but d'éviter qu'il ne me touche par mégarde. Pauline est venue me voir plusieurs fois pour vérifier si mon front était brûlant - ce qui était évidemment le cas avec une main entaillée. Elle m'a donné quelque chose à avaler sans goût et minuscule, comme de minuscules cailloux transparents. J'étais dans un tel état que je n'ai pas songé à refuser son aide. Et Nazaire... Il m'a observée, adossé à la fenêtre, pendant que je faisais semblant de dormir. Son manège a duré assez longtemps pour que je comprenne qu'il ne savait clairement pas quoi faire de ma personne, malgré ses belles paroles de la soirée. Quant à moi, j'avais trop conscience de ce qui m'attendait le lendemain pour réussir à m'endormir. Ce matin encore, j'ai la nausée et la peur au ventre.

Je tente de me laver comme je peux avec une seule main. La marque autour de mon cou est toujours visible, frappante et hideuse. Nazaire se trompe. Je n'ai rien pardonné. Il n'a pas la moindre idée de ce que cela m'a coûté de demander la libération de Marie alors que je ne voulais qu'une seule chose : qu'elle se balance au bout de cette fichue corde ! Elle aurait bien mérité ce sort. Mais si j'avais pris cette décision, je n'aurais fait que confirmer mon statut d'indésirable. Certes, je suis désormais intouchable grâce au mensonge de Vivien, cependant tous les regards haineux ou apeurés m'ont convaincue au dernier instant que je n'avais pas le droit de prendre cette vie. En colère ou pas, je me serais rabaissée au niveau de cette femme en demandant sa mort. Je n'ai pas agi par pitié ou par compassion.

Je ne suis pas une traître.

Je ne suis pas une meurtrière.

Je n'ai pas demandé à être ici.

Emma... Je ne le fais pas parce que je le veux, mais parce que j'y suis obligée. Nazaire connaît lui aussi les règles du jeu. Il les maîtrise même mieux que moi, puisqu'il parvient à s'échapper entre les mailles des filets d'Aubry et de ses Veilleurs.

Et si je lui expliquais tout ? Et si je lui demandais de m'aider ? Peut-être que...

Réfléchis, Mélanie ! Que crois-tu qu'il va faire à ton frère en apprenant comment il trouve l'argent pour manger ? Et dans l'hypothèse grotesque où il accepte, Aubry a le bras long. Un ordre et un Veilleur tuerait Pierre et Emma avant que je ne puisse espérer les mettre à l'abri. C'est beaucoup trop risqué. L'oncle de Vivien a beau donner des cheveux blancs à ce type, il n'en reste pas moins incapable de l'affronter. Pour preuve : s'il le pouvait, ils ne passeraient pas leur temps à jouer au chat à la souris. Affronter des villageois furieux, ce n'est pas la même chose que des hommes armés jusqu'aux dents. Sans compter que si le vent tourne, il pourrait m'abandonner à tout moment. Je l'en crois tout à fait capable, ce ne serait pas le premier à tenir des promesses en l'air.

Nazaire a tort. Je ne peux faire confiance à personne.

Mon estomac est si contracté que la bile me monte à la gorge. J'ai juste le temps de vomir dans le lavabo pour éviter d'en mettre sur la robe de Pauline. Le peu d'énergie cumulée dans la nuit s'est évanoui d'un seul coup. Les murs bougent brusquement et se resserre autour de moi. Je m'accroche au lavabo pour ne pas chuter. Ma main me brûle, mais je serre les dents. J'ai besoin de cette douleur. Elle me rappelle où je suis et pourquoi je suis là. Elle n'est rien en comparaison de celles qui m'attendent si je me plante.

HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE  (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant