Chapitre 6

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La peau est brûlée.

Enfin pas tout. Juste la partie inférieure droite. De son oreille à son cou, en passant par la moitié du nez. Elle est complètement boursouflée et vire au brun.

Les doigts de Pierre se crispent sur mes avant-bras comme pour me dire : ne montre rien ou t'es cuite. Il a raison. Vivien attend une grimace ou même un mouvement de recul de ma part pour foncer en dehors du bureau et exiger la répudiation de l'union. Il se fourre le doigt dans l'œil s'il croit qu'il va l'obtenir comme ça ! Les Veilleurs voudront des arguments plus solides qu'une épouse qui trouve son mari affreux. En revanche, Vivien peut décider de me pourrir la vie.

Encore faut-il qu'il lise en moi. 

Je ravale mon dégoût, puis j'incline la tête en signe de respect et de soumission.

— Il est temps d'y aller, annonce Nazaire.

Vivien est de son avis. Il quitte la pièce en me plantant comme une idiote.

— Mélanie, dépêche-toi de dire adieu à ton frère. Il est très probable que tu ne le reverras pas. Ne t'inquiète pas pour Vivien, ajoute-t-il avec un sourire aimable qui me surprend, il est un peu grognon mais on ne peut pas vraiment lui en vouloir.

Si, moi je lui en veux de pouvoir afficher librement sa mauvaise humeur. 

— On se reverra, je te le promets, me chuchote mon frère.

Il dépose un baiser si léger sur mon front que je le sens à peine. Pourtant, il réveille en moi une multitude d'émotions.

— Je dois rentrer maintenant. Ma présence n'est plus vraiment désirée.

En prononçant ces mots, il a toisé Nazaire. Celui-ci s'écarte de la porte comme pour lui confirmer ses dires. Pierre pose une main sur mon épaule, la presse. Puis, je me retrouve seule avec un inconnu, qui m'observe avec la plus grande attention. Si Pierre est très mince et légèrement courbé par tout le poids de ces dernières années, l'oncle de Vivien possède une carrure robuste et se tient bien droit. Il se dégage de lui une forte impression d'autorité et de dignité. Dommage que Monsieur Grincheux ne lui ressemble pas plus.

— Ton frère tient beaucoup à toi, me fait-il remarquer. Ça n'a pas dû être facile pour lui de te jeter dehors. J'ai cru comprendre qu'il avait une petite fille maintenant. Comment s'appelle-t-elle ?

Son regard me jauge.

— Emma.

Je me force à ne pas bouger quand il s'avance vers moi. Je baisse les yeux et j'attends. Une réaction. Un mot. Mais il n'y a que le silence. 

— Tu as l'air d'être une gentille fille, Mélanie, alors ne fais rien que tu pourrais regretter. Je protégerai ma famille par tous les moyens. Mettre une gamine de seize ans dans le Troisième Quartier ne m'empêchera pas de dormir. Est-ce que c'est clair ?

— Oui.

Quand Nazaire fait enregistrer l'union, mon estomac est si contracté que je dois me faire violence pour rester sagement debout près de Vivien. Il n'est pas content de se voir attribuer une épouse contre sa volonté, mais au moins il a l'intelligence de ne pas le montrer devant les Veilleurs.

Un camion noir aux vitres fumées nous attend sur le trottoir. Pierre est là, à l'angle du bâtiment. L'expression de Vivien se durcit en l'apercevant. Nazaire lui murmure quelque chose que je n'entends pas, et mon époux monte à l'arrière du camion pour s'asseoir sur l'un des bancs. Monsieur Grincheux est de retour. Ma valise ne contient pas grand-chose, mais je peine à la soulever à bout de bras. Vivien prend un malin plaisir à ne pas intervenir. Il me regarde me démener avec un sourire qui me donne envie de lui hurler dessus. Je dois faire peine à voir car Nazaire me prête main-forte jusqu'à m'aider à m'installer sur le banc d'en face, la valise près de moi.

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