Chapitre 26

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Ombeline a besoin de soins au plus vite. Pourtant, le seul plan qui me vient est insensé : rester cacher et attendre sagement le départ des Veilleurs. Si j'avais été seule, c'est ce que j'aurais fait. Mais avec une blessée par balle sur les bras, c'est comme si je lui demandais de mourir près de moi sans faire de bruit. Et ça, je n'y arrive pas.

Ma camarade a conscience de son état. Quand elle me demande de tenter ma chance sans elle, je m'agace. Il n'est pas question que je la laisse derrière moi ou qu'on se sépare, et je ne veux même plus en discuter. Je ne veux pas non plus qu'elle me parle de sa mère, de Pauline, des villageoises. Du massacre. Qui est peut-être vivant, caché comme nous, ou qui est allongé là-dehors. Ou qui se fait tuer en ce moment même. Je veux juste qu'elle reste en vie et qu'elle arrête de me forcer à réfléchir à autre chose qu'à notre survie. C'est tout ce qui compte, le reste ne nous sauvera pas. Ma honte et ma culpabilité ne nous aideront pas. Alors à chaque fois qu'elles m'assaillent, je ravale mes larmes en serrant les poings et je me mords l'intérieur de mes joues pour ne pas devenir folle. 

Je dois trouver une solution, au plus vite. Ombeline a finalement compris que je n'avais aucun plan.  Plus le temps passe, plus j'ai l'impression qu'elle ne veut plus lutter. Je la secoue et la gronde. À chaque fois, elle semble revenir à elle, toutefois le résultat n'est guère plus joyeux. Elle se rappelle où nous sommes et je dois la bâillonner pour étouffer ses pleurs. 

Soudain, une idée se profile. Stupide et suicidaire, mais je suis prête à la tenter malgré tout. Tout plutôt qu'attendre qu'on vienne nous débusquer dans notre cachette. Je préviens ma complice de fuite qu'elle va devoir serrer les dents et me suivre sans interruption jusqu'à notre destination. Ce ne sera pas du tout une partie de plaisir entre la distance et les traqueurs qui errent. Je ne suis pas certaine qu'elle m'ait entendue ou qu'elle ait compris un traître mot. Peu importe. Je la relève sans lui demander son avis.

Le chemin est truffé d'embûches. Les armes nous frôlent, néanmoins nous parvenons à nous approcher de mon but. Ombeline ne comprend pas mes intentions, mais elle ne me pose aucune question. Elle a déjà bien du mal à avancer et à ne pas se plaindre à chaque pas. Au moins, la souffrance a ses avantages : ma camarade est pleinement réveillée. 

Avec leurs uniformes, tous les Veilleurs sont identiques. Quand j'en vois surgir un, je ne sais pas si c'est le même ou s'il est accompagné. Je les écoute parler. Ils pensent avoir fait le tour du village. Pour eux, nous sommes tous morts et ces sales chiens sont très contents de leur petite surprise. Voilà ce que nous sommes pour eux : un exemple pour le reste de la population. Il ne parle pas de Nazaire ou de Pauline, ni de Vivien. Et encore moins d'un quelconque trafic. Pourtant, Aubry est venu. Peu de temps après que j'ai parlé à mon frère, peu de temps après que j'ai... dénoncé la sœur de Pauline. Je tends l'oreille, j'essaie de comprendre.  

Cet homme n'a pas cherché à s'en prendre directement à Pauline, mais à l'ensemble du village. D'habitude, les traîtres sont exécutés publiquement, tandis qu'une retranscription en direct est faite à la radio après un long discours du gouvernement. Pas en huit-clos.

Tout se mélange dans ma tête et rien n'a de sens.

Enfin, je vois la maison. Elle a été vandalisée. Je farfouille dans un tiroir pour en extraire l'objet convoité et nous nous rendons dans le jardin aussi vite que possible. Les murs de clôture sont toujours debout. Ainsi que les toilettes extérieures. Des voix m'apprennent que les Veilleurs ont pris possession de la cour d'à côté. Un coup de feu éclate. J'explique par geste à Ombeline ce que j'attends d'elle, puis nous longeons le mur lentement jusqu'à la porte des toilettes où nous nous enfermons.

La planche est cloutée. Je m'acharne sur chaque clou pour les extraire un par un. Ombeline est stupéfaite de découvrir le tunnel que je mets à nu. Je me glisse dans le trou et découvre avec soulagement une échelle. Je coince le tisonnier sous un bras et descends la première.

HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE  (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)Where stories live. Discover now