Chapitre 9

2.6K 307 52
                                    

Pauline est penchée au-dessus de moi.

— Tu as dormi tout l'après-midi. Lève-toi.

Tout l'après-midi ?

— Désolé. Je...

— Ne crois pas que cela va t'éviter tes corvées.

Vu sa tête, en effet, j'en doute. Je m'excuse une nouvelle fois avant de lui promettre que ça n'arrivera plus. Je ne veux pas me mettre cette femme à dos. Quitte à passer tout mon temps avec quelqu'un, autant ne pas attirer ses foudres. Fais suer. Si Vivien l'apprend, je sens que je risque de subir encore sa mauvaise humeur.

Je repousse la couverture. Une tenue pliée repose désormais sur un coin du lit. Elle était dans ma valise, Pauline a dû la déposer pendant que je dormais. Je n'avais pas eu le temps de la mettre avant le déjeuner.

— Mets-la. Tu es une femme unie maintenant. Tu ne peux pas continuer à porter ce beige.

Je m'attends à ce qu'elle s'en aille, mais elle ne bouge pas d'un poil. Je m'efforce de me déshabiller avec des gestes contrôlés. Plutôt mourir que de lui laisser entrevoir que sa présence me met mal à l'aise. Elle a cessé de jouer la femme aimable. Elle cherche quelque chose sur moi qui la convaincra qu'elle a toutes les raisons de se montrer méfiante. De la peau fine sur des os saillants, on ne peut pas dire que ce soit une découverte incroyable.

Je nage dans la robe. Je vais devoir prendre un temps pour l'arranger à ma taille si je ne veux pas m'emmêler les pieds. Vivien ne me trouve déjà pas attirante, si je me présente à lui le nez explosé il ne va pas se priver pour me faire savoir qu'il me trouve encore plus affreuse. Faut dire que lui est tellement attirant avec sa tronche de travers ! 

Tiens, pourquoi pas. Ce serait un bon moyen pour le maintenir à distance. Toutefois, j'écarte vite cette idée. Je ne suis pas assez désespérée pour souffrir le martyr.

Je passe la fin de l'après-midi à maudire ma naissance. Je frotte, j'astique, je fais briller, le tout en silence, et les inspections de Pauline m'arrache mes sourires « tout va bien, c'est génial, je m'éclate ! ».

Quand la maison brille enfin du sol au plafond, elle me dépose sous le nez un panier de linges sales en m'expliquant que la machine à laver est tombée en panne. Elle doit demander à Nazaire d'y jeter un œil en rentrant. M'occuper ne m'aide pas à me vider l'esprit. Mes gestes sont mécaniques : je frotte avec le savon noir – tout en faisant attention à l'économiser – et je rince. Je frotte et je rince. Je frotte et je rince. Tout y passe : les tee-shirts, les pantalons, les chaussettes et même les slips. L'eau plisse ma peau et je n'ai qu'une hâte : en finir avec cette horrible mission.

Le linge étendu près de la cheminée, Pauline m'appelle pour la préparation du repas du soir. À l'école, nous apprenons par cœur les règles de bonnes conduites d'une parfaite épouse et la préparation du dîner en avance est la règle numéro un : quand il rentre de son travail, un homme a faim, son servante doit donc lui servir aussitôt son repas chaud. On s'étonne ensuite que les hommes soient impatients...

Je m'affaire avec tout mon savoir-faire. Même si je déteste l'admettre, j'excelle dans les tâches ménagères. En même temps, c'est la seule chose qu'on m'a appris depuis mes six ans.

Une fois le dîner fait, j'attends.

J'A-TTENDS.

Sur une chaise dans la cuisine. Je ne sais pas combien de temps. Suffisamment en tout cas pour avoir mal aux fesses. J'adorerais pouvoir me vautrer dans un des fauteuils ou le canapé du salon. Ces trois-là me narguent. Je jurerais les entendre rigoler « Ah ah ! Tu ne nous auras pas ! »

HARMONIA - Tome 1 : HERITAGE  (Disponible en ebook et abonnement KINDLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant