Chapitre 1 : Le premier jour du reste de ma vie

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Les plus belles vacances commencent enfin. Dix-huit ans, bac en poche, envol vers une contrée inconnue avec les potes pour deux semaines. Ceci est le premier jour du reste de ma vie. Je suis perdu dans le terminal quatre de Roissy Charles-de-Gaulle, et j'ai marché dans une merde. Problème : il n'y a pas de terminal quatre à Roissy Charles-De-Gaulle, et le chien qui a pondu cette immondice avait un sale souci aux intestins. Mon voyage commence par une embuscade.

— Putain, Con, je t'avais dit qu'il fallait prendre à gauche après les escalators.

— Mais puisque je te dis que c'était pour aller à Dubaï ! Et arrête de m'appeler comme ça !

Même à cinq mètres devant eux, j'entends les disputes de mes amis. Con, c'est le diminutif méchant de Constantin, pour quand il dit des conneries. Son surnom habituel, c'est Cons. Personne ne sait pourquoi celui-là lui convient, mais ce qui est sûr, c'est que l'autre le met hors de lui.

Ils tirent comme des forcenés sur le plan de l'aéroport pour s'en emparer, et tentent de me suivre dans le même temps. C'est ridicule. On dirait un couple de pingouins siamois.

Cons est mon meilleur ami d'aussi loin que je me souvienne. C'est un garçon blond d'un mètre quatre-vingt, précédé d'un petit ventre, avec des épaules de rugbyman.

Le type à l'autre bout du plan, c'est Estéban. Un tout autre genre. Grand, élancé, boucles sauvages autour du visage. L'archétype du brun ténébreux, en somme. Il fait semblant de ne pas saisir sa beauté, mais il porte des cols roulés par tous les temps, peu importe la neige ou la canicule, alors je crois qu'il en joue. Toutes les filles du lycée étaient amoureuses de lui, et à moins d'une catastrophe, la chose devrait se réitérer à la fac.

Coupant court à leur dispute, j'annonce :

— On est dans un parking, les gars.

Les deux idiots s'arrêtent tout net. Ils gardent une distance d'au moins deux mètres entre eux et l'odeur pestilentielle qui me hante. Je soupire :

— Il y a des voitures là-bas. Je crois que le bon terminal est au-dessus de nous.

Ayant repéré un petit robinet de service, je cours y mouiller ma chaussure.

— On est vraiment trop cons, s'exclame Cons. Heureusement que Ju est là.

— Je m'en serais très bien sorti si tu m'avais prêté le plan, ronchonne Estéban, les bras croisés.

— Le plus important, c'est qu'on arrive dans la maison de vacances de Cons tous ensemble, en temps et en heure, et sans que j'ouvre la marche comme un pestiféré, de préférence.

— L'odeur t'a imprégné, s'étonne Cons. C'est fou.

— J'espère que tes narines délicates apprécieront ma nouvelle eau de toilette.

J'ai beau augmenter la puissance du jet, un bout de caca reste accroché sous la Nike. Et tout le monde le voit. Hors de question de laisser ça comme ça. Encore plus hors de question de le toucher avec les doigts. Je préférerais encore me nettoyer avec le col roulé d'Estéban.

— Tiens, mec.

Pâle, Cons me tend un vieux mouchoir. Même le tissu a l'air de vouloir faire demi-tour. Je prends une grande inspiration et me penche vers ma basket. Il faudra me décerner un prix Nobel du courage pour ce que je fais là. Je ramasse le morceau d'horreur en apnée, cours jusqu'à la poubelle la plus proche, puis demande, dégoûté :

— Ça vous dérange si on fait un tour aux toilettes avant le vol ? L'embarquement termine dans une demi-heure, ça devrait aller.

— Ça ira si on ne doit pas traverser tout l'aéroport une troisième fois, râle Estéban.

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now