#6 - LEANDRA

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— Tu veux dire que...

Julien reste coi. Impossible d'assimiler l'information. Le rêve n'en était pas un. La tache qu'il a nettoyée le lendemain matin, c'était celle de leur semence fusionnée, à Estéban et lui. Julien déglutit. Il comprend ce qu'il ne voulait pas comprendre. Il comprend qu'Estéban l'a masturbé cette nuit-là, qu'il a adoré et qu'il lui a montré, que les mots crus qui ont résonné dans sa tête toute cette semaine avaient été prononcés. Pour de vrai. Julien détaille l'expression d'Estéban, qui a changé du tout au tout, qui a enseveli la douceur sous autre chose.

Il s'est approché comme pour le menacer, et puis il a souri, une fois trop près de lui. Et les yeux de Julien arrivant au niveau de ses lèvres, il a pu les voir articuler, le menton levé pour tenter de le regarder dans les yeux : « gen-til-gar-çon ». Comme ça. Avec les syllabes détachées. Comme s'il avait cherché à graver les mots dans la mémoire de Julien. Ils l'étaient déjà. Cela fait une semaine qu'ils sont inscrits au marqueur sur tous les murs de sa conscience.

Puis Estéban se détache. Il aurait suffi qu'il se penche pour que leurs lèvres se touchent. Et le monde semble se remettre à tourner. Julien a eu l'impression de sentir son cerveau s'éteindre et se rallumer. Son ventre bouillonne. Ses poils dressés se frottent au tissu. Une part de lui le supplie de sauter sur Estéban, qui s'est assis sur son lit et le regarde fondre sur place avec la plus insolente des satisfaction dans les yeux. Il pourrait se jeter sur lui, et unir leurs deux corps comme s'est uni ce foutu sperme qu'il a essuyé, horrifié des fantasmes d'un subconscient qui ne lui avait rien fait. Il pourrait se jeter sur lui, faire disparaître ce sourire qui l'excite et l'agace avec ses lèvres et sa langue et ses dents. Il pourrait se jeter sur lui, mais le rire d'Estéban lui redonne toute sa conscience.

— T'as cru que t'avais rêvé, c'est ça ?

Et Julien se sent profondément stupide. Bien-sûr qu'il l'a cru. Ça lui paraît si improbable maintenant. Tout était trop réel, trop bien construit. Les mots d'Estéban. Ses sensations à fleur de peau. C'était vrai. Et l'impact de cette prise de conscience lui fait perdre pieds. Cette nuit-là, il aurait suffi qu'un seul élément change, un détail minime, et peut-être qu'ils se seraient embrassés, et peut-être qu'ils auraient fait l'amour.

Est-ce que ça aurait plu à Julien ? Oui. Sans aucun doute. Il doute de tout, mais pas de ça. Ça lui aurait plu. Est-ce qu'il aurait regretté après coup ? Peut-être. De toute façon, ça n'est pas arrivé.

— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? demande Julien.

— Quand tu t'es levé le lendemain, je pensais te voir tout rouge, mortifié ou gêné, mais tu semblais juste un peu perdu... Je me suis dit que tu avais peut-être oublié, ou que j'avais mal jugé la situation dans la nuit, et que tu n'étais pas complètement réveillé. Tes réponses étaient tellement...dociles que j'ai cru après coup que tu n'avais pas été consentant... Ça m'a mis mal à l'aise. Je me suis demandé si je t'avais violé... J'aurais aimé t'en parler après le petit-déjeuner, mais tu es parti très vite, et ce n'était pas un sujet à aborder n'importe comment. Je voulais attendre le bon moment.

Julien exhale le désarroi que la surprise lui provoque. Si Estéban attendait qu'il rougisse, le voilà servit. Julien n'ose même plus le regarder. Estéban a dû paniquer bien plus que lui. Pourtant, il n'a rien montré. Julien non plus n'a rien montré.

Il prend une grande inspiration. Son souffle tremble légèrement. Avec tout ce qu'il a bu et fumé, ses idées ne sont plus au clair. Il tente de ne pas tituber sur les trois pas qui le séparent du lit d'Estéban, puis il s'assoit au bout du matelas, dos à son ami.

— Et si je n'avais pas été entièrement conscient ?

Estéban hausse les épaules.

— Je te l'aurais dit de toute façon. Tu devais le savoir. Je suppose que j'espérais que notre relation soit assez forte pour que tu comprennes que je ne chercherais jamais à te faire du mal... Mais quand tu es entré dans la chambre, je t'ai un peu observé, j'avoue. Et tu as eu une réaction qui m'a étonné. J'en ai déduit que tu savais qu'une chose avait eu lieu, et c'est là que j'ai pensé au rêve.

On s'était dit qu'on préférait les fillesजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें