#8 - CONSTANTIN

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Depuis l'épisode des toilettes, il n'y a plus eu de baiser. Julien n'a plus osé embrasser Estéban. Estéban a vu les yeux de Julien s'agrandir de frayeur toutes les fois où il a été un peu trop proche de son visage.

Il est déçu, mais il n'insiste pas. Il le comprend, d'une certaine façon. Dans les toilettes, il n'y avait qu'eux deux, et dans la tête de Julien aussi. Ils n'étaient pas entourés d'étudiants. Ils ne pensaient plus aux problèmes avec ses amoureux transits, ni à Cons. Mais maintenant, tout est revenu. Estéban sent que Julien est submergé par cette peur ridicule, cette culpabilité latente de laisser libre court à ses sentiments, parce qu'il a l'impression de tromper Cons s'il embrasse Estéban. Peut-être qu'il ne s'en rend pas compte lui-même, mais en tous cas, il n'a toujours pas parlé de cette branlette à son meilleur ami.

Ce qui le rend plus heureux, en revanche, c'est que depuis une semaine, Julien refuse de le lâcher plus de dix secondes. Maintenant que la rumeur d'Estéban et l'érection maudite s'est répandue comme une trainée de poudre dans tout l'établissement, Estéban se sent guetté dans chaque couloir. Il a prétendu faire peu de cas de cette infortune devant ses amis, et tente désormais de s'en convaincre, mais Julien se moque de son prétendu lâcher-prise. Il est tout le temps collé à lui, sans doute pour éviter qu'il ne se sente seul.

Quelque part, Estéban est soulagé de ne pas se faire manger les lèvres par Julien a chaque détour de couloir. Soulagé est un grand mot pour dénommer le réconfort qu'il trouve dans sa déception. Mais disons que si Julien s'amusait à lui sauter dessus, ne serait-ce qu'une fois par jour, comme il en a probablement envie, — Estéban a remarqué les regards brûlants qu'il lui jette quand il s'imagine ne pas être vu — la rumeur se transformerait en information, voire en meme national, grâce aux preuves vidéo toutes aussi solides que l'érection qui lui distendrait le pantalon, quasiment à chaque baiser. Car Julien est très attirant, et Estéban s'est surpris à repenser plus d'une fois à leur petite expérience. Bien plus d'une fois.

Heureusement, Haruka semble n'avoir parlé à personne de ce qui a mis Estéban dans cet état, et comme les gens commencent enfin à croire à la relation avec Julien, ils s'imaginent que la pensée de son petit ami, ou un sexto, ou une photo, ont provoqué cette réaction malencontreuse.

Estéban est donc profondément rassuré lorsqu'un gros lourd de la fac leur hurle : « Eh ! Juju ! T'as pas trop de mal à marcher ? » ou encore un très fleuri : « Nettoyez derrière vous les pédés ! On veut pas avoir du sperme de gays sur les murs ! » suivi de « Je rigole hein ! Je suis pas homophobe... » et même : « Et du coup, vous vous organisez comment ? C'est Julien qui se fait pénétrer ou vous échangez ? (Celui-là, c'était une fille de la classe d'Estéban qui l'avait sorti. Estéban ne lui avait jamais parlé, et Julien s'adressa à elle pour la première fois.) — Et toi ? Tu te masturbes seulement avec ta main droite quand tu penses à nous, ou tu t'es acheté un gode pour te soulager plus vite ? ». La fille était partie plus vite qu'elle n'était venue.

Des répliques comme celle-là, Julien semble en avoir un bon paquet. Il est inépuisable, et il s'énerve une bonne demi-heure tout seul après chaque réflexion. Estéban n'ose pas lui avouer qu'il est content de ne pas passer pour le pervers dégueulasse qui a peloté une nana en cours contre son gré, en bandant comme un cheval. La rumeur du jeune couple un peu trop excité, c'est gentillet, à côté. Surtout dans ce milieu, surtout à cette époque. Vingt ans plus tôt, même endroit, même ville, on les aurait tabassés, et Estéban se serait fait applaudir pour avoir quasiment violé une fille en public. Les mentalités évoluent vite. Et ce n'est pas plus mal.

Cet après-midi démarre le premier cours d'Histoire de l'Art de l'année. L'amphithéâtre va être plein à craquer, puisqu'il réunit deux filières, et que l'écrasante majorité des étudiants a choisi cette option. En prévision de cette situation, Estéban, Julien et Bertille ont décidé de se retrouver plus tôt. Depuis qu'il a embrassé Julien, Mathis les fuit comme la peste.

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now