#10 - LOUISE

397 63 52
                                    

Le Court-Saint-Emilion 2009 atteint le sol dans un bruit mat pitoyable, à peine perceptible. On aurait pu s'attendre à ce que la bouteille explose, comme dans un film, que le liquide éclate dans le verre brisé, qu'on ne puisse plus le différencier d'une tache de sang. Sauf que dans la vie réelle, le verre d'une bouteille est solide, et si l'on s'amuse à frapper avec le crâne d'un individu, le crâne a bien plus de chances de se fêler que la bouteille.

Le Court-Saint-Emilion tombe donc, et se met à rouler sur le parquet, répandant sur le bois sa traînée de vin hors de prix. Il s'échoue contre le pied du meuble de cuisine, rebondit tragiquement et s'immobilise enfin, comme une bouteille jetée dans l'océan qui accoste sur le rivage.

Normalement, Louise se serait inquiétée de cette estafilade d'alcool qui s'imprègne dans son sol. Elle aurait couru sur son tube de javel et imbibé un petit coton du produit, puis elle aurait frotté la tache avant qu'elle ne s'imprime définitivement sur les lattes.

Sauf que Louise n'est pas dans son état normal. Louise est renversée sur la table-basse de son salon, que Julien a débarrassée d'un revers de bras. Les bols en porcelaine ont survécu, mais les verres sont fendus. Louise ne s'en est pas rendu compte. La passion la rend aveugle, et sa cécité nouvelle ne lui permet de voir que Julien, qui la serre et qui l'embrasse, qui lui tire les cheveux, qui s'abandonne à elle et quittera peut-être tout.

— Julien...

Elle n'a plus que son nom à la bouche. Elle le murmure contre ses lèvres. Il est couché sur elle, à genoux sur la table. Elle enfonce ses doigts dans ses épaules. Il remonte son petit pull en coton jusqu'à ses seins découverts. Louise n'a jamais aimé les soutiens-gorges. Elle se sent emprisonnée dedans. Alors, chez elle, elle ne sait se résoudre à en porter, visiteurs ou pas.

Il y fait à peine attention. Ses seins, c'est la première fois qu'il les voit. Leur taille est comparable à celle d'oranges. Ils ont la vaillance des poitrines légères que le poids n'écrase pas sur le torse. Leur pointe les guide vers le ciel, et Julien se jette dessus comme un affamé.

Louise se redresse assez pour ôter le reste de son pull, puis elle se laisse retomber sur la table-basse. La main apposée à la bouche pour contenir ses gémissements, elle admire la langue de Julien qui tournoie autour de son téton, et joue et danse avec.

Puis il braque ses yeux sur elle, et elle ressent l'émotion remonter au creux de sa gorge, l'embraser toute entière, alourdir son estomac. Les yeux de Julien la sondent et lui compressent le cœur. Ils la regardent comme un joyau qu'il craindrait de briser. Ils bouillonnent du feu du temps perdu qu'on voudrait rattraper, de l'amour et de la colère qui s'unissent et créent ensemble un monstre impénétrable.

Il revient à ses lèvres. Ils s'embrassent encore, comme s'ils étaient assoiffés de l'autre, comme si goûter à l'autre pouvait donner les réponses à toutes les questions qui remplissent l'univers, celles qui gravitent dans le vide, au milieu du cosmos, au-delà des mondes, et parviennent à nous, et nous obsèdent et restent insolubles. Il leur semble que la réponse est là, entre eux, dans ce mystère d'amour qu'ils inventent et partagent, dans cette passion qui vibrait en eux, et a jailli sans prévenir, comme un geyser.

Louise se redresse, agrippe ses jambes à la taille de Julien et le retourne sur la table. Il semble surpris. Il ne savait pas qu'elle possédait autant de force. Elle rit un peu, aime plus que tout cette expression qu'il prend, puis elle fond sur lui, et écrase son corps sur le sien. La distance qui les éloigne est insupportable.

Il passe ses mains dans ses cheveux. Elle tire sur son tee-shirt, parce qu'elle ne veut plus être la seule à moitié nue. Il se laisse faire. Il lui sourit. Il est plus magnifique que le monde entier.

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now