#15 - ANASTASIA

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— Tu sais à qui tu vas demander comment on rompt le vœu ?

Julien ne lâche pas les montagnes des yeux. Il n'a jamais vu autant de neige. Cons lui a promis qu'un jour, ils iraient faire du ski, mais l'occasion ne s'est encore jamais présentée. Sur le siège conducteur, celui-ci se mord les lèvres. Il a pris une décision.

— Je ne vais rien demander à personne.

— Pourquoi ?

— Je ne pense pas qu'il y ait de moyens d'annuler un vœu, et de ce que j'ai compris, toute l'économie du village repose sur l'arbre. Je pense qu'ils ont tous demandé à avoir beaucoup d'argent, et que c'est grâce à ça qu'ils vivent aussi bien. Ils sont tous riches, et de toute ma vie, je n'ai pas vu la moitié d'entre eux aller une seule fois au travail.

— Les vœux ne se sont jamais retournés contre eux ? demande Estéban.

— Apparemment pas au point de devoir les annuler.

Julien peste, les bras croisés :

— Je savais qu'il fallait demander de l'argent !

— Qu'est-ce qu'on fait là s'il n'y a pas de solution ?

Cons darde Estéban dans le rétroviseur.

— Il y a une solution, mais si jamais des gens du village l'apprennent, je crois qu'ils pourraient s'organiser pour nous tuer.

Julien et Estéban éclatent de rire. Cons se renfrogne, fâché. Il n'a jamais été aussi sérieux.

— Je ne rigole pas, les gars. On a deux options. Soit on laisse les choses telles qu'elles sont parce qu'on ne peut pas faire le vœu à l'envers. Soit on détruit l'arbre. Et si on détruit l'arbre, on annule tous les vœux d'un seul coup. Autrement dit, on ruine le village. Dans une région aussi reculée, vous n'imaginez pas à quel point on est faciles à tuer. Personne ne nous connaît, donc personne n'a de mobile. On conclura qu'on s'est perdus dans la montagne, et ce sera fini. Je ne vais pas prendre le risque de demander à quelqu'un dont le train de vie dépend de cet arbre s'il y a un moyen quelconque d'annuler un vœu.

Il fait une pause, observe le silence religieux des deux autres, satisfait. Comme personne ne l'interrompt, il poursuit :

— Donc, mon plan, c'est qu'on saccage l'arbre. Le temps qu'ils aient des répercussions, nous serons loin d'ici, et hors de danger.

Estéban fronce les sourcils. Cons est trop sombre. Il leur cache quelque chose d'important. Comment est-il aussi certain de cette affaire de richesse ? Pourquoi croyait-il aussi fort à l'arbre ? Cons est loin d'être idiot, mais il ne l'imaginait pas intelligent au point d'élaborer une théorie aussi complexe, et qui implique des gens qu'il a connu toutes les vacances de sa vie. Il est trop gentil. Il fait trop confiance. Ça ne tient pas debout. C'est bancal. S'il s'était mis à avoir de tels doutes, il les aurait tous déblatérés en hurlant. Mais là, il est calme, concentré. Il sait déjà ce qui l'attend.

— Ta famille a fait un vœu, souffle Estéban sans avoir saisi l'entière portée de ses mots.

Cons se mord les lèvres, passe une main dans ses cheveux, nerveux, silencieux. Estéban continue :

— C'est pour ça que ta famille est aussi riche. C'est pour ça que tu nous as emmenés en week-end dans ce palace. C'est pour ça que tu croyais dur comme fer à cet arbre quand on te riait au visage. C'est pour ça que tu ne voulais pas parler de tes plans à ta tante. Tu savais que c'était vrai depuis le début. La fortune de ta famille, comme tout le reste du village, repose sur cet arbre.

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now