Chapitre 5 : Le champ lexical de la bouffe

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— Enchanté, Mathis. Moi, c'est Julien.

Il hoche la tête, puis se désintéresse de moi. Je tente de faire pareil, mais son parfum m'obsède. L'inactivité dans la salle ne m'aide pas à me concentrer sur autre chose.

Un polycopié déposé devant nous résume le contenu de notre première année de licence. Deux catégories d'étudiants se démarquent déjà. La cool d'un côté, avec les gens qui discutent, font connaissance, organisent en avance les premières soirées, et l'autre, dont je fais partie. Celle qui feuillette le poly.

Je passerais volontiers du côté cool de la Force, mais Mathis, mon unique voisin, n'a pas l'air motivé à m'y accompagner. Il finit par souffler, lâche son papier, et sort son smartphone. C'est mon moment.

— Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?

Il se tourne vers moi et hausse un sourcil.

— Une licence d'Histoire, on dirait.

Bah oui, forcément. Je rigole niaisement pour faire passer le malaise, tandis qu'il me contemple en silence. Il n'a pas l'air ouvert à la conversation, mais je suis persévérant.

— Je veux dire, en dehors de la fac...

— En dehors de la fac, je fais de la muscu.

— C'est bien, ça, la muscu.

— Ouais. Il souffle. Et toi, tu fais quoi ?

Merci pour ta charité, Mathis. Dieu te récompensera. Je n'imaginais pas que communiquer avec moi pouvait être une telle plaie. J'ai presque envie de m'excuser.

— Moi, je tue le temps, surtout. Je ne fais pas trop de sport. Je lis des bouquins. Je regarde des animés. Je joue à des jeux vidéo... Et c'est à peu près tout.

— Mmh...

Il aurait dit qu'il s'en bat les couilles, je me serais senti pareil : Con. Mes amis me manquent. Avec eux, parler ne prend jamais des allures de corvées. A ma grande surprise, Mathis remue les lèvres pour s'adresser à moi.

— Et tu veux faire quoi comme boulot, quand t'auras fini ?

— Prof, je suppose... J'aime bien parler aux gens. Et toi ?

— Je ne sais pas trop, alors, j'ai pris un double-cursus de droit et d'histoire. Ça me laissera le temps de choisir une vocation.

Wow. Histoire et droit ? Soit ce type est la réincarnation d'Einstein, soit il est inconscient.

— Ça va faire beaucoup de choses à retenir, non ?

— T'inquiète. La mémoire n'est pas un problème pour moi.

Il n'est pas là pour déconner, celui-là.

— Moi, je ne retiens que ce qui m'intéresse. J'adore l'histoire, alors je trouve ça facile à apprendre. Mais plutôt crever qu'essayer de retenir un article du Code Pénal.

Il rigole. Sa voix est si grave que je la sens vibrer dans ma poitrine. Il a l'air sympathique, finalement.

Un prof descend les marches. J'extirpe mon ordinateur portable de mon sac pour prendre des notes, et je remarque que Mathis ne prend rien. Pas de cahier. Pas de stylo. Même pas d'enregistreur.

Mon attention est détournée par une fille qui me bouscule en s'asseyant. Essoufflée, elle sourit et s'excuse. Je la trouve mignonne. Ses cheveux sont châtains, et décolorés aux pointes. Son visage est petit et rond. Elle a de grands yeux verts, et une bouche étroite.

— Je suis une vraie boulette. Être en retard dès le premier jour, il n'y a que moi pour faire ça.

— Tant que tu ne t'appelles pas boulette, tout est rattrapable.

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now