Chapitre 4 : Ce qui s'est passé en Suède reste en Suède

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— Mec, ça va ?

Estéban est enfermé dans les toilettes depuis dix bonnes minutes, et je commence à m'inquiéter. La porte est fermée à clé, j'entends des bruits indistincts à l'intérieur. Je croyais qu'il rendait ses tripes, mais il n'a pas l'air de vomir. Je ne comprends pas ce qu'il fout.

— Heu... Oui, j'arrive.

— Mais qu'est-ce que tu fais ?

— Rien, c'est bon ! Laisse-moi chier tranquille.

Je glousse. Je ne suis pas trop sûr de ce qu'il fabrique, mais dans tous les cas, ça semble sale. Vu que je me sens un peu nauséeux depuis le baiser de Cons, j'ai décidé de freiner sur la boisson. Et je redescends déjà. Combiner la gestion de la cuite et de la pompettitude est un art délicat. J'écrirai une thèse sur ce sujet, un de ces quatre.

Je retourne dans le salon. Cons y danse tout seul. Il n'a besoin de personne pour faire la fête. Ce mec est l'allégorie de l'autonomie. Quand je m'approche de lui, il se retourne avec un sourire immense. Il est déchiré.

— Elle fout quoi, Cendrillon ?

— Elle se branle.

J'ai dit ça pour la blague, mais je me demande tout à coup si ce n'est pas la raison de son isolement. Quel genre de type arriverait à bander avec un mélange de weed et d'alcool dans le sang ? Je n'en ai aucune idée. Je dois me faire des films. Ce n'est pas possible.

— En même temps, à force de se frotter à ton cul, c'était un peu inévitable.

Il sort ça comme une évidence, avant de siroter son cocktail, les yeux dans le vide. C'est vrai qu'on se frottait, avant qu'il ne parte, mais je n'ai rien senti. Ceci dit, dans mon état, je ne peux plus me fier à ce que mes sens me montrent.

J'entends enfin claquer la porte des toilettes. Je suis très curieux de savoir ce qu'il s'y est passé.

— Je vous conseille de ne pas utiliser les chiottes avant les dix prochaines minutes, lance Estéban depuis le couloir.

— C'est pas parce que tu laisses sécher ton sperme qu'il va disparaître, lui répond Cons.

— Ferme ta gueule, Con, t'es chiant. Et pourquoi tu ne bois plus, toi ?

Il me regarde les sourcils froncés, les mains dans les poches. Les couleurs sont revenues sur son visage. Ses joues ont pris une teinte de vieux rose, et ses pupilles sont dilatées par tous les trucs qu'on a consommés.

— Je ne me sentais pas très bien, alors je vais faire une pause.

— Tututu ! Si tu fais une pause, tu vas t'endormir. C'est hors de question ! — Il se tourne vers Cons — Comment tu peux le laisse faire des conneries pareilles ? Vous ne vous en sortez pas, sans moi... C'est une tragédie.

— Au pire, ce n'est pas grave si je m'endors.

— Ce serait dramatique.

Il remplit son verre d'un mélange de rhum, de grenadine et de jus d'orange, puis il décapsule une bière et me la tend. Son sourire sape mon assurance.

— On va faire la fête jusqu'au bout de la nuit, dit-il.

Après cela, il ne s'est rien passé de notable. Ni durant la soirée, ni les jours suivants. Ou peut-être que si, mais je ne m'en souviens plus. La deuxième semaine ne nous a servie qu'à décuver. Je n'ai jamais eu une si violente gueule de bois, et mes maux de tête n'ont pas surpassé mes crampes d'estomac.

Le voyage s'est écoulé sans que nous l'ayons vu passer, et sur le trajet du retour, avec Shaka Ponk à fond dans les enceintes de la voiture, nous avons dit adieu à l'arbre à vœux, à Anastasia, au baiser entre Cons et moi, et tout ce qui va avec. Ce qui s'est passé en Suède reste en Suède.

On s'était dit qu'on préférait les fillesOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz