Chapitre 13 : Et le Rouge, c'est moi

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Mon aimé, mon soleil, mon futur oublié,

Je t'écris du train qui m'amène à Bailleul. Maman n'a pas le courage de m'y conduire en voiture. Cela vaut sans doute pour le mieux, au vu de son état. Elle ne cesse de pleurer depuis la décision que nous avons prise ensemble.

Oui, mon ange, j'ai choisi de me faire interner de mon plein gré, car j'ai vu l'effroi qui te glace le cœur, et la haine qui le rongera bientôt. J'ai vu l'étonnement te froncer les sourcils, les questions te froisser le front, et l'inquiétude poindre dans tes yeux. Et plus jamais je ne veux troubler le lac qui emplit ton regard. J'emmène avec moi le souvenir du soleil qui descend s'y laver, l'envol des oiseaux qui le fait ondoyer, et mon reflet en ces fonds, si épris de toi.

Julien, je t'aime. Quelques instants à tes côtés m'ont fait devenir tour à tour Louise et Mathilde. Mon voyageur du temps, un seul regard de toi me ramenait en arrière, en cette France dont j'ai tant rêvé et que je n'ai pas encore connue. A travers toi, ce titre que je ne saisissais point a enfin pris son sens.

Le noir est ton ombre dans laquelle je me perds, un abysse trop profond pour avoir une issue. Cachée longtemps là-bas, j'ai fait des choses affreuses, assouvi à mon gré tout mon besoin de toi.

Et quand je te voyais, je voulais m'excuser, te demander pardon, réconfort et grâce. Mais le lac est gelé quand il se pose sur moi, lorsque pour tant d'autres, il devient bouillonnant. Alors, je me suis tue. Je me suis cachée. J'ai fait mes réserves comme une petite fourmi. Je sentais que tôt ou tard, je serais démasquée, et tu m'as rejetée, et j'ai voulu me tuer.

Je t'en prie, mon amour, ne te blâme pas pour mon geste. Ce n'était pas après toi que j'en avais. C'était après moi-même, après ma passion, après le mal que je te faisais quand dans ton dos je t'espionnais.

Julien, tu es le noir. Celui qui dévoile mes plus sombres secrets. Celui qui allume en moi le rêve de t'illuminer. La flamme qui m'anime est assez grande pour nous deux. Mais ce noir là est trop sombre pour capter ma lumière.

Alors, je t'en prie, mon étoile, trésor céleste, oublie-moi, oublie tout, efface-moi de ta vie. Tu resteras à jamais mon bout de paradis, et de mon âcre présence, enfin je te déleste. Car Julien, à la fin, ne voit plus qu'une impie. Louise est tous les autres, donc je serai Mathilde, qui pleure et qui souffre, qui s'arrache les cheveux, qui s'abandonne à toi, qui quitte sa famille.

Julien, tu es le Noir.

Et le Rouge, c'est moi.

— Si je te vois lire ce message encore une fois, je jette ton téléphone par la fenêtre, s'agace Cons.

Je le fusille du regard et écrase ma tête sur la vitre du passager. Ça ne sert à rien. Il ne me regarde même pas. Ses yeux sont vissés sur la route. A l'arrière, Estéban est assis sur le siège du milieu, à moitié attaché.

— Je suis d'accord avec Con, pour une fois, dit-il. Aujourd'hui, c'est notre journée parc d'attraction avec circuit spécial « On oublie Clémentine, et on n'arrête de se blâmer ». Il faut que tu y mettes du tien.

— Vous avez raison... Je ne sais pas pourquoi je relis ce message. Il transpire la folie... Mais je le trouve... Beau... Pas vous ?

— Il n'y a que les fous qui écrivent vraiment bien, rétorque Estéban en s'affalant dans son siège.

— J'avais oublié l'option « poète maudit » dans le starter pack brun ténébreux, raille Cons.

— Mais qu'est-ce qu'il a le gosse de riche ?

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now