Chapitre 19 : Les initiatives

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— Estéban !

Il disparaît à l'angle de la rue sans se retourner, ignorant mon appel et mon visage peiné. L'adrénaline retombe peu à peu, et je réalise la gravité de la situation. Notre groupe a éclaté en quelques minutes, peut-être quelques secondes.

Cons s'est assis sur un banc, un peu plus loin. Du sang sèche sous son nez. Une grosse marque rouge se dessine sur sa joue. Je m'assois à côté de lui et lui tend un mouchoir.

— Merci, Ju.

Je ne réponds rien. Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas quoi penser. Nous n'aurions jamais dû cacher la vérité à Estéban. C'était lâche. Il aurait peut-être mieux compris si nous avions joué carte sur table. Notre manque d'honnêteté ne serait pas passé pour la plus haute des trahisons. Peut-être aurait-il même accepté l'idée que Cons n'a rien fait, qu'il a tardé à réagir, certes, mais que toute cette histoire n'est qu'un quiproquo malencontreux.

Cons, qui est arrivé aux mêmes conclusions que moi, murmure :

— Merde.

— Ouais.

— Je n'aurais pas dû m'énerver, c'était débile mais j'ai perdu la mesure des choses.

— Je sais.

— J'ai voulu bien faire, et j'ai tout gâché... Même si j'essaye de lui expliquer maintenant, il va penser que j'ai inventé des mensonges après coup. Il ne voudra jamais m'entendre. Et puis je me suis emporté, je...

— Ce n'est pas grave, Cons. Je me serais énervé aussi. Rien ne dit que les choses se seraient mieux déroulées si on avait pris d'autres décisions... Et de toutes façons, on ne peut pas revenir en arrière.

— Je sais... C'est juste... Je crois que je viens de perdre un de mes meilleurs amis, et...

Il ne parle plus et enfonce assez fort ses dents dans sa lippe pour s'éviter de pleurer. Une fois, je l'ai vu se mordre au sang. Je ne sais pas s'il trouve dans la douleur une sorte de libération, ou si l'idée de blesser les autres le heurte tellement qu'il en oublie qu'il se blesse lui-même, mais ce n'est pas la première fois que je remarque ce genre d'attitudes chez lui, et je n'aime pas ça. Je pose ma main sur son épaule et murmure :

— Eh... T'es pas tout seul, Cons. Te fais pas mal.

Son regard me retourne le cœur. Ses yeux sont humides. Ses paupières sont écarquillées comme celles d'un enfant qui réalise sa bêtise.

— Je ne veux pas perdre Estéban...

— Ça va aller... Je vais essayer de le raisonner.

Cons plonge sa tête dans ses mains et souffle d'une petite voix, au bord des larmes :

— Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Ce n'est pas ta faute, Cons. On a tous mal géré cette situation.

Un sanglot lui soulève le dos. Je l'attire contre moi, dépose ma tête sur ses cheveux et tente de le consoler. Je n'arrive à répéter rien d'autre que : « Ça va aller. », et je ne suis pas convaincu que ce soit vrai.

***

A la sortie des cours, je guette Estéban sur l'esplanade. Il a ignoré tous mes messages, et j'attends qu'il sorte avec une boule au ventre. Au bout d'un quart d'heure, je commence à me dire que je l'ai peut-être manqué, ce qui me mine encore plus, mais c'est à ce moment-là qu'il apparaît enfin.

— Estéban !

Il me regarde arriver au pas de course et soupire :

— Qu'est-ce que tu veux ?

On s'était dit qu'on préférait les fillesWhere stories live. Discover now