Chapitre 5

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Cassandre

Le lendemain, tout semble clair et limpide dans mon esprit. Adieu, sombre histoire d'escorte ! Adieu stupide culpabilité de m'être enfin comporté comme une fille « normale »!La longue discussion que j'ai eu avec Louna m'a ouvert les yeux sur ce nouvel attrait de ma personnalité.

— Tu n'as rien fait de mal. Je ne vois pas pourquoi tu te mets dans des états pareils, m'a-t-elle réprimandé en levant les bras au ciel. Ce mec te plait, tu lui plais aussi, ça saute aux yeux . Alors laisse ta frustration au placard et vis, pour une fois !

Elle m'a donné un minuscule laps de temps pour réfléchir avant d'ajouter d'une voix taquine :

— Parce que si tu ne t'occupes pas de ce joli garçon, c'est moi qui le ferai.

Je n'ai pas mis deux secondes pour réagir en lui répondant qu'elle avait plutôt intérêt à garder ses distances, ce qui l'a bien fait rire. J'ai passé une bonne partie de la nuit à penser à lui, à ce garçon qui n'envahit mon esprit que de superlatifs. Le plus beau. Le plus craquant. Les plus beaux yeux du monde. Enfin bref, tout un panel de petits détails et sensations, les uns plus troublants que les autres. Et puis, j'ai sombré dans un sommeil peuplé de rêves érotiques qui me font encore rougir. Finalement, je me suis réveillée sereine dans mon esprit, détendue, et c'est le sourire aux lèvres que je rejoins d'un pas léger l'amphithéâtre dans lequel se déroule mon premier cours de la semaine. Pour la première fois, j'ose regarder plus loin que le bout de mes Converses. Alors que je longe les longs couloirs peuplés de monde, je croise quelques regards masculins qui ne manque pas de me faire ressentir une certaine fierté.

Je suis jolie, mais désormais je l'assume.

Studieuse, comme à mon habitude, je passe la matinée à prendre des notes, tandis que certains pianotent frénétiquement l'écran de leur téléphone, et que d'autres gribouillent leurs feuilles, de dessins qui ne ressemblent à rien. Je me demande bien ce qu'ils font ici et si le fait de dépenser de l'argent dans des études dont ils se moquent complétement ne leur donne pas mauvaise conscience. Pour ma part, je peux toucher du doigt l'aboutissement de toutes ces années de durs labeurs, pendant lesquelles j'ai donné de ma personne en travaillant comme une forcenée. D'ici quelques mois, je serai diplômée et prête à passer le concours qui me donnera accès au métier de commissaire priseur que je convoite depuis mon enfance. Quand d'autres petites filles se déguisaient en princesse en pensant au Prince Charmant, moi j'écumais les brocantes avec ma mère à la recherche de la perle rare, de l'objet unique qui gagnerait le droit d'être exposé aux yeux de tous dans la vitrine de  son magasin. Si elle était encore de ce monde, je suis certaine qu'elle serait fière de moi. Cela me motive à ne rien lâcher, à m'accrocher même si à de nombreuses reprises, j'ai failli tout envoyer sur les roses parce que personne n'était là pour me soutenir. Personne et surtout pas mon père qui a fait irruption dans ma vie à la mort de ma mère, et qui a essayé de jouer ce rôle qui, je m'en suis aperçu rapidement, ne lui convenait pas du tout. Il était plus occupé à jouer les playboy auprès de la gente féminine - il a un physique avantageux, je dois le reconnaître- plutôt que de passer du temps avec une  adolescente de treize ans, dévastée par la mort de sa mère ainsi que par les chamboulements  hormonaux qui envahissaient son corps. Il est donc sorti de ma vie aussi vite qu'il y est entré, me laissant à la charge de ma tante qui n'avait pas d'autres choix que de parfaire mon éducation, qu'elle jugeait trop laxiste et bien loin des critères religieux qu'elle affectionnait tant. Célibataire, sans enfant, elle était le stéréotype même de la parfaite fidèle au chignon strict, qui se rendait à l'église tous les dimanches, qui participait également à cette chorale constituée de femmes coincées dans leur petite vie bien rangée. Ne pas faire parti de ce méli-mélo de voix pieuses reste sans doute, la seule chose que j'étais parvenue à ne pas lui concéder. J'étais devenue une jeune fille trop sage, trop obéissante, trop studieuse. Je me languissais de ces moments complices que je partageais avec ma mère qui elle, était diamétralement opposée à sa sœur. Joyeuse, pleine d'entrain, une âme d'enfant, elle m'a fait découvrir ce qu'est réellement la vie. Je bouillais d'envie de cracher au visage de ma tante que toutes ses bonnes manières, elles pouvaient se les garder, mais je ne l'ai jamais fait. J'étais bien trop configurée dans ce moule de jeune fille modèle pour oser lui dire ce que je pensais vraiment. Alors, j'ai subi pendant cinq ans, lui laissant croire que sa nièce était devenue une personne exceptionnelle, simplement pour qu'elle me foute la paix. Quand j'ai obtenu mon bac, j'ai enfin aperçu une lueur au bout du tunnel. Je n'aspirais qu'à partir loin de cette vie, loin de cette maison  aux meubles en bois de chêne, qui sentaient la naphtaline et la cire. J'ai donc choisi la faculté la plus éloignée, celle qui me permettrait de mettre le plus de distance possible entre nous. Je suis parti sans remords, sans regrets. Pour la première fois depuis longtemps, je pouvais enfin faire mes propres choix, prendre mes propres décisions sans demander l'aval de ma tante. Un peu perdue dans ce nouvel univers qui s'offrait à moi, j'ai rencontré Louna qui m'a permis de me décoincer un peu. Certaines manies continuent à ne pas me lâcher, comme étudier jusqu'à m'enfermer encore dans cette bulle bien à moi. Malgré tous ses efforts pour me socialiser davantage, je perdure à rester seule. On n'efface pas, d'un coup de baguette magique, cinq années d'embrigadement forcé à une vie de recluse, où seule la petite jupe plissée était autorisée dans cet établissement catholique que j'ai fréquenté pour mon plus grand malheur. J'enviais ces filles que je croisais dans les rues, habillées en jeans. Louna m'a fait découvrir une autre façon de s'habiller que celle que j'adoptais depuis longtemps. Le jeans fait dorénavant parti de ma garde-robe  tout comme les Converses qui remplacent mes sempiternelles souliers en cuir.

l'emprise des sensWhere stories live. Discover now