Filkunstien

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Je ne m'attendais pas à grand-chose en entrant dans le gang, mais j'espérais quand même un peu plus d'action. Ça fait une semaine que Castian m'a pris comme disciple et pour l'instant, tout ce que je fais, c'est des livraisons. Et que des choses sans valeur ! Je sais que vu mon gabarit, si je tombe dans une embuscade je ne pourrais pas protéger la marchandise. Mais c'est quand même frustrant et humiliant.

Je soupire et resserre mes bras autour du costume de Castian. Aujourd'hui, c'est mission teinturier !

Une main me saisit le bras, me faisant lâcher mon paquet. Je me retrouve dos au mur dans une ruelle étroite, une lame émoussée sous la gorge et des iris d'or me fusillant.

— Toi, je laisse échapper avant qu'il n'appuie son couteau de fortune sur mon menton.

— Je veux des explications.

Je grogne sans répondre. Sa voix fluette, son léger accent et son visage de poupon n'aident pas à prendre sa menace au sérieux.

En revanche le couteau qui marque ma peau, oui...

— Je ne vois pas...

— Attention à ce que tu dis le sablig.

Je grimace face à ce qui sonne comme une insulte.

Il me presse davantage contre le mur. Il est bien plus fort qu'il n'en a l'air, le morveux !

— Pourquoi tu nous as empoisonnés ? Pourquoi tu ne m'as pas tué, moi aussi ?

Je reste un instant silencieux. Me demandant ce que j'aurais ressenti en me réveillant dans des draps de sang, avec un cadavre comme colocataire et un maître disparu.

— C'était le seul moyen d'entrer dans le gang, j'avoue.

Son étreinte se desserre légèrement. Il semble en pleine négociation avec lui-même. Il finit par me lâcher. Mes jambes tremblantes ont du mal à me soutenir.

— Suis moi.

À contrecœur je m'exécute, récupérant mon paquet au passage.

Il me conduit dans une petite forge de la Basse-ville. Le sol est un mélange de sable et de paille avec une odeur de brûlé qui agresse mon nez. Je ne suis pas étonné qu'il ait trouvé refuge ici. Les Filkunstien sont connus pour leur métallurgie d'exception. Era n'a que peu de forges et rarement de bonne qualité. Notre atout à nous, c'est la verrerie. Le patron n'a pas dû réfléchir longtemps lorsqu'un étranger au sang de fer est apparu devant sa porte.

L'inconnu, dont je ne connais toujours pas le nom, passe des gants autour de ses mains et saisit un énorme marteau. J'ai un léger mouvement de recul qu'il ne calcule pas.

— Pourquoi voulais-tu intégrer le gang ?

Je grogne.

— Ça me paraît évident.

Il frappe son couteau émoussé après l'avoir chauffé. Mon corps tremble face à cette agression sonore.

— Tu as obtenu ce que tu voulais ?

Un nouveau coup. Je grimace.

— Pas vraiment.

Encore un.

— J'ai une proposition à te faire.

Je relève la tête, intrigué. Il frappe encore avant de continuer.

— Mon maître avait une mission. Mission que tu as corrompue en le tuant.

Aucune rage dans sa voix, pas même une once de réprimande.

— Et donc ?

— Tu vas m'aider à la terminer.

Je fronce les sourcils.

— Pourquoi je ferais ça ?

Il frappe à nouveau, un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale. Je prends ça pour un avertissement.

— Le prince Damian est retenu captif par le roi de l'ombre.

Je cligne plusieurs fois des yeux. Ok celle-là je ne m'y attendais pas.

Le Filkunstien continue son œuvre, me laissant appréhender la nouvelle. Le troisième prince, alcoolique et fêtard, dont le mariage pourrait forger une alliance avec une puissance étrangère, est retenu prisonnier par le gang. Voilà qui déséquilibre la relation entre le vrai et le faux roi, si tant est qu'elle fusse un jour égale. Je comprends mieux l'implication de Filkunstone. Notre bon roi Kalmos a dû leur vendre la main du prince en échange de leur aide pour le récupérer. Ainsi il n'attaque pas frontalement Tokarin Soren. Ça collerait aux rumeurs que j'ai entendu chez Griffin.

— Pourquoi ? Je demande. Pourquoi vouloir terminer sa quête ?

Il s'arrête et se tourne vers moi.

— Je ne peux rentrer chez moi sans mon maître, explique-t-il en posant ses yeux d'or sur moi.

— Mais tu pourrais si tu remplissais sa mission à sa place ? J'en déduis.

Il ne me répond pas, mais ne dément pas pour autant.

Voilà qui est intéressant.

— Et donc tu as besoin de moi pour l'en sortir ?

— Tu sembles vouloir t'élever. Quoi de mieux qu'un prince reconnaissant pour ça ?

Un petit sourire vient naître au coin de mes lèvres. Il est plus malin qu'il n'en a l'air.

— Qui me dit que tu ne me laisseras pas dans mon trou une fois le prince libéré ?

— Tu aurais pu me tuer.

Non. Mais ça, il n'a pas besoin de le savoir.

— Alors on a un accord ?

Il me tend sa main, de laquelle il a retiré le gant. Je l'observe un instant avant de m'en saisir. Un nouveau plan se formant doucement dans son esprit.

— Nous en avons un...

— Melysandre.

— Eden.

La Cité souterraine, l'antre du gang. C'est une ville, sous la ville, constituée d'une grande cavité centrale et de multiples galeries qui se répandent sur toute la capitale. Rien de mieux pour se déplacer furtivement et échapper aux soldats. Mais ce système a une faille : n'importe qui peut entrer et sortir. Quand je serai Roi de l'ombre, il faudra que je revoie ce point de sécurité. Les murs en terre poreuse sont recouverts de mousses blanches et dégagent une odeur de nature et d'humidité qu'on sent peu dans le désert. Tout un microcosme s'est forgé dans les souterrains, loin de la chaleur et du sable de la ville.

La Cité suit le même rythme que la ville basse, beaucoup de membres du gang ont des femmes et enfants qui vivent avec eux dans les galeries. Chacun ses missions en fonction de son ancienneté ou de ses capacités.

— Hé ! minus ! Tu étais où ? Ça fait des heures que je te cherche !

Je me tourne vers Baston, l'autre disciple de Castian. Un garçon baraqué, mais pas très grand. Il n'a pas apprécié mon arrivée et a juré de me rendre la vie impossible.

Il me bouscule, me faisant lâcher la tenue de Castian dans la boue. Un rire lui échappe alors que je m'agenouille devant lui pour ramasser le vêtement.

— Lorsque t'auras fini de salir les affaires du maître, tu iras nettoyer les chiottes.

Je baisse la tête et opine. Inutile de lui faire remarquer que ce n'est pas mon rôle, je tiens à garder mon déjeuner. Je ne suis pas stupide, je sais reconnaître mes limites.

— Allez dégage.

Il me marche sur la main en s'éloignant. Je réprime mes gémissements et l'observe du coin de l'œil. Profite bien Baston, je fais le serment que ça ne durera pas.

L'ombre du trône : Je veux le pouvoir, la couronne et la gloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant