Entre quatre mur

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On m'apporte mon premier repas. Enfin si on peut appeler de la bouillie brune un repas. À l'odeur je devine qu'il s'agit des restes des aigles géants. J'ai un haut-le-cœur. Je me suis vraiment embourgeoisé. Plus jeune j'aurais supplié pour moins que ça.

Un peu de nerf Eden !

Je me bouche le nez et avale une première bouchée. Le goût est encore pire que l'odeur. Je mets ma main sur ma bouche et me force à avaler. Je dois manger. Il le faut si je ne veux pas mourir ici. Une poignée après l'autre j'engloutis le contenu du bol, terminant mon délicieux repas en léchant ma main. J'ai envie de vomir, mais au moins ma faim a disparu. Je me laisse tomber contre le mur et prends une profonde inspiration.

La soif est toujours là.

Au fond du couloir je perçois une lumière diffuse. Elle scintille depuis qu'ils m'ont apporté ma pitance. Me permettant de voir temporairement. Une lueur d'espoir. C'est plutôt malin d'associer la lumière à la nourriture. Quel meilleur moyen d'obtenir le calme ?

Je dépose mon bol de l'autre côté des barreaux et m'installe contre le mur, feignant la désinvolture. Je n'ai aucune raison d'être là et je n'y resterais pas. Voilà ce que j'espère renvoyer comme image. Mais la lumière reste longtemps et personne ne vient. Mes yeux papillonnent. J'ai soudain très envie de dormir.

Ne me dit pas qu'ils ont drogué la nourriture ?

Je vacille. La lumière devient plus intense et le martèlement des bottes résonne dans le couloir, mais je m'effondre avant de voir le visage de mon geôlier.

Je suis à nouveau dans le noir. Sans repères. Avec un mal de crâne et de ventre infernal.

M'a-t-on passé à tabat ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Deux jours ? Cinq jours ?

Ma gorge me fait atrocement souffrir et des taches colorées commencent à se former sous mes yeux. Combien de temps je peux tenir dans ces conditions avant de devenir fou ?

Une larme perle sur la joue lorsque des murmures me parviennent. Les premiers depuis mon emprisonnement. Ils sont loin et étouffés, mais ils ne sont pas le fruit de mon imagination. Un rire nerveux m'échappe.

Merci. Doux Ewadun, merci.

Les gardes parlent de leurs salaires, de leurs femmes, du dernier match... Des conversations simples, mais qui me semblent si importantes. Puis les mots sont remplacés par des rires et des coups. Ils râlent, se félicitent, jouent aux cartes. J'entends les feuilles de verre cogner contre leur table en métal et les pièces qui tintent. Je me demande quelle règle ils suivent. Celle des quatre rois ou celle des deux valets ? J'ai une préférence pour les rois, c'est plus stratégique que les deux valets qui se basent essentiellement sur la chance.

Et si je leur donnais des noms ?

Je réfléchis un instant avant de m'exclamer.

— Toi à la voix grave tu seras Greta, je clame avec autorité. Celui à la fois fluette sera Fluta et... hum... Inta pour l'homme à la voix insupportable.

Je souris, fière de moi. C'est primaire, mais ça m'occupe l'esprit. Je me sens moins seul.

Les voix se font plus calmes à mesure que la partie avance, finissant par ne plus rien entendre.

Je serre les dents. Luttant contre la sensation qui tente d'envahir mon cœur.

Je me redresse et tapote le sol et les murs pour apprivoiser mon environnement. Ma main se heurte à du verre froid que je rattrape in extremis, me mouillant les mains.

De l'eau.

Bande de fumier. Ils ont posé un seau d'eau dans ma cellule lorsque j'étais inconscient. J'aurais pu le renverser ou pire ne jamais le remarquer.

Je plonge ma tête dans le liquide légèrement tiède et avale goulûment la boisson salvatrice. Elle a un goût affreux, je parie qu'elle a servi à laver les draps. Mais en cet instant ça n'a pas d'importance. Je rejette ma tête en arrière pour respirer, puis recommence, ne songeant pas au temps qu'il faudra à mes geôliers pour m'en ramener. Je suis bien trop assoiffée pour réfléchir à l'après.

Une fois hydratée, je me laisse tomber sur le côté et ferme les yeux. La sensation est légèrement réconfortante.

J'inspire et explique. Une main sous la tête et l'autre sur mon ventre.

Je ne suis pas dans le noir, j'ai juste fermé les yeux. Je suis allongée sur le sol de ma chambre et tout va bien. Mel est dans la pièce d'à côté. Damian sur le balcon avec Eli. Eli... Je secoue la tête. Ne pense pas à Éli.

Que fait la princesse Galine ? Elle se remet probablement de la soirée. Après toutes ses danses. Des danses avec Leiner... Je grimace. Non, évitons aussi ce sujet.

Salior doit être à la voilier, Talis en plein entraînement. Je souris. Je ne sais pas pourquoi, mais quand je pense à la Corbeau je la vois toujours dans l'arène.

J'ouvre les yeux, même si l'obscurité persiste.

Talis pourrait témoigner en ma faveur ?

Je fronce le nez. Oui, mais elle ne le fera pas. Elle a déjà payé sa dette en pistonnant Salior. Elle ne risquera pas sa réputation et sa vie pour moi. Je ne le ferais pas non plus.

La princesse Béélis ne me connaît pas assez pour venir à mon aide. Pareil pour Azieur. Impossible de compter sur Poskon. Salior ne fera rien sans compensation et Cassian n'a aucun pouvoir au palais...

Une vérité glaçante me transperce mon cœur.

Je n'ai personne à qui demander de l'aide.

Ma respiration s'accélère.

Dû clame Eden... ça va aller... Tu vas trouver...

Mais rien ne me vient. Ni nom, ni plan.

J'inspire et expire.

Je rabats mes jambes vers moi et enfouis ma tête entre mes genoux.

Je suis seul.

Comme quand j'étais enfant, dans ce placard.

Personne ne viendra me chercher.

Je suis seul... au milieu du silence...

Mina...

Mes larmes m'échappent. Après des années à les contenir, elle s'écoule sur mes joues crasseuses.

Seul dans la noire personne ne m'entend pleurer.

Je suis seul... et c'est entièrement de ma faute.


L'ombre du trône : Je veux le pouvoir, la couronne et la gloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant