Vendeur

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Adossé au mur d'une vieille bâtisse défraîchie, j'observe mes compatriotes se presser autour des étales colorés du marché de Strazgel. Vendeurs de viande, de poisson, d'épices, de tapisserie, de vêtements... on trouvait absolument tout, à des prix très attractifs. Seule la qualité n'est pas au rendez-vous, mais quand on vit dans la basse ville, c'est qu'on n'a pas les moyens de faire la fine bouche.

J'ai longtemps dû marchander avec les commerçants du marché pour survivre. Une heure de travail en échange d'un sac de pommes, une astuce de broderie contre un morceau de viande, j'ai même gardé un chien une journée pour une ration d'eau sucrée.

Tous les marchands n'acceptaient pas le troc et il m'a fallu plus d'une fois voler pour me nourire. Je n'ai aucune honte à l'avouer et je serai prêt à recommencer si ma vie en dépendait. Parfois la morale n'a juste pas sa place dans nos décisions.

Mais aujourd'hui ce n'est pas pour faire des courses que je suis ici. Je suis en mission pour le gang : Vendre une dizaine de sachets de poussière. Le plus gros du chiffre d'affaires se fait ici, avec les consommateurs réguliers. Je suis donc, au même titre que tous les marchands, un vendeur venu écouler ses stocks.

C'est une mission ingrate. Rester des heures en plein cagnard à attendre que des péquins en manque se pointent avec la bonne somme d'argent pour acheter un petit sachet de poudre est loin d'être une partie de plaisir. Surtout que je dois rester discret. Même si les soldats ne viennent jamais par ici, il n'est pas rare que des types louche viennent requêter les vendeurs pour se faire un peu d'argent sur le dos du gang ou des camés en manque deviennent violent à la suite à un problème de paiements. J'ai plus d'une fois été passé à tabac pour ses motifs.

Je déteste être aussi impuissant. Aussi misérable.

Je pose mes yeux sur un vieil homme au regard vide qui s'approche de moi en boitant. Monsieur Kotaro. Un client régulier. Petit, je le voyais venir à la taverne avec ses fils. Il les regardait avec une telle fierté que sans était émouvant. J'ai longtemps rêvé d'avoir un père comme lui. Mais lorsque ses deux garçons sont morts à la guerre, il a perdu toute joie de vivre. Depuis il prend de la poussière pour les retrouver dans ses rêves. C'est horrible de voir les gens sombrer de la sorte, mais il n'a plus de famille, plus rien auquel se raccrocher. Qui suis-je pour le juger ou l'empêcher de prendre la seule chose qui l'aide à supporter les jours qui passent ?

Alors comme chaque jour, je lui souris, prends ses trois-pièces de cuivre et lui donne son sachet de poussière. Trois grammes cinquante, avant c'était quatre, mais la semaine dernière ils ont réduit les quantités sans rien changer du prix. Certains ont râlé, comme d'habitude et je me suis pris quelques coups de poing, mais ils ont quand même pris leur sachet. Le gang de l'ombre a le monopole sur la poussière. Il fixe les prix qu'ils veulent et personne à son mot à dire, surtout pas un larbin comme moi.

Avant de les rejoindre, je songeais à stopper la vente de poussière une fois devenu roi de l'ombre. Mais maintenant que j'ai vu la réalité sur le terrain j'hésite. Une grosse partie de l'économie de la basse ville repose sur la poussière, de sa production à sa vente. Sans compter le bien qu'elle procure à certaines personnes comme monsieur Kotaro. Peut-être qu'il faudrait mieux encadrer la pratique, plutôt que de l'arrêter ? Et surtout mieux rémunéré et protéger les vendeurs. Et puis si j'arrêtais la poussière du jour au lendemain, je me mettrais la moitié de la basse ville à dos et ce n'est pas le mieux quand on commence à gouverner.

Je regarde la poche de mon haut et compte le nombre de sachets qu'il me reste. Six, encore deux ventes et j'aurai atteint mon quota du jour. Je pousse un long soupir et jette la tête en arrière.

Le ciel est parfaitement dégagé et la chaleur est lourde, mais supportable. On est loin des piques caniculaires qu'on peut avoir lors de la saison chaude. J'espère que je ne bosserai plus ici quand ça arrivera, autrement je ne donne pas chère de ma peau.

L'ombre du trône : Je veux le pouvoir, la couronne et la gloireWhere stories live. Discover now