Plaidoirie

4 2 0
                                    

Installé dans un des balcons de la grande salle, une main sur la balustrade l'autre sur ma canne, un masque sur le visage et une cape sur le dos, j'observe la foule s'agglutiner devant le trône du roi inoccupé. Vêtu d'une ample tunique blanche, sa couronne sciant son front, Kalmos scrute les nobles avec un dédain non dissimulé. Je peux sentir d'ici la frustration d'abandonner la couronne et ses privilèges.

Tout le monde sait que s'il a obtenu la couronne ce n'est que grâce à un malheureux concours de circonstances. L'ancien roi, le grand-père de Damian, n'a eu que trois filles : Evitris, Zastiry et Dista. Aucun héritier mâle impose donc le trône à un des maris.

Et par chance, une semaine avant le choix, Zastiry était la dernière princesse en vie.

Mon regard se reporte sur les trônes ou la reine est lascivement assise. Elle porte une magnifique robe rouge étonnamment couvrante par rapport à celle qu'elle a l'habitude de mettre. Elle est encore plus belle que dans mon souvenir. Le rouge lui va si bien au teint. Sa couronne sur la tête, elle attend patiemment le fils qui viendra la rejoindre.

Tant que le nouveau roi sera célibataire, elle conservera son titre de Reine. Et si l'héritier choisi venait à mourir avant d'avoir forgé une alliance matrimoniale, elle récupérait la totalité du pouvoir en attendant de nouvelles élections. C'est bien le seul moment où elle aurait un droit officiel. Même si cela n'est encore jamais arrivé.

Leiner et les Corbeaux sont debout à sa gauche tandis que les princesses sont à droite, dans leur plus belle tenue de cérémonie. Galine est magnifique. Vêtue d'une longue robe violette parsemée de bandes colorées, elle fixe la salle la tête haute. Ses épaules sont dénudées et son cou arbore un lourd collier d'or. Ses cheveux ont été tressés et ramenés au-dessus de sa tête,formant une couronne blanche majestueuse recouverte de chaîne d'or. Béélis n'est pas en reste dans sa robe armure blanche et son maquillage bleu bien plus élaboré qu'à l'accoutumée. Elles sont là à entendre qu'ambassadrice et elles le revendiquent par leur tenue.

La princesse de mes rêves semble fixer le second prince. Je fronce les sourcils lorsqu'elle détourne les yeux au moment où leur regard se croise. Avant de revenir et lui offrir un doux sourire. Mon cœur se tord à cette vision et je manque de perdre l'équilibre. J'avais presque oublié à quel point ça faisait mal. Alors les rumeurs sont vraies ? Ils se sont rapprochés pendant mon incarcération ?

Je serre les dents et détourne les yeux. Inutile de me flageller avec des questions aux réponses douloureuses.

Face à l'estrade, dans une tenue des plus simples – un pantalon et un chemin en lin, blanc pour l'un et noir pour l'autre – les deux princes héritier observent leur père.

Je n'ai jamais vu Damian aussi sérieux. On pourrait presque croire qu'il désire ardemment la couronne. Une légère crainte fait vaciller mon cœur, mais je la repousse. Damian n'est pas mon rival. On gouvernera ensemble. Lui sur le trône d'Era et moi dans l'ombre du gang.

Prima arbore la même expression. Prêt à mordre quiconque s'opposerait à son ascension.

Ils ont retiré tout artifice. Aucun bijou à leur cou, leur bras ou leur oreille. Seul un trait de noir accentue leur regard.

D'un geste pompeux le roi lève la main, ce qui impose le silence dans la foule de noble.

Après un long moment, Kalmos se lance dans son ultime discours.

— Mes chers amis. Après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, il est temps pour moi de rendre les armes et de laisser la place à une nouvelle génération. Dans quelques instants ils se tiendront devant vous et clameront leur objectif et leur souhait pour le prochain quart de siècle. La suite sera alors entre vos mains. Puissiez-vous faire le choix le plus juste.

Après un ample mouvement de bras, entraînant ses longues manches autour de lui, il se retire d'un pas noble, la tête haute.

Le silence reste.

Prima fait un pas en avant après avoir pris une profonde inspiration. Azieur lui offre un sourire rassurant, ce qui semble l'aider à se détendre.

Il a beau être impressionnant, avec sa carrure de soldat et ses bras aussi larges que mes cuisses, sans ses ornements il en serait presque timide. Ses cheveux ont bien poussé depuis la dernière fois, pareil pour sa barbe qui recouvre entièrement ses joues. Il ressemble tellement à son père. Et en se plaçant exactement là où était Kalmos un instant plutôt, il déclare silencieusement être son héritier.

Je jette un regard à la foule. Il n'est pas difficile de distinguer ceux qui ont déjà fait leur choix. Les sourires d'approbation et les moues dédaigneuses. La plaidoirie a surtout pour vocation de convaincre la majorité incertaine.

Prima a l'avantage de passer le premier, mais Damian sera le dernier entendu. Mon cœur bat incroyablement vite. J'ai presque l'impression que c'est moi qui vais parler devant tout le monde.

Il inspire discrètement, mais profondément, en parcourant la foule de son regard sombre et envoûtant.

— Depuis que je suis enfant, on me parle de la grandeur d'Era, commence-t-il d'un ton calme et sûr. Depuis que je suis petit je suis témoin de cette puissance. Ce pays, mon si beau pays. Il a toujours tout surmonté. Que ce soit les tempêtes de sable, les colères des dieux ou les guerres constantes. Era n'a jamais plié, bien au contraire elle en est ressortie grandi. Je ne prêtant pas changer ce pays, mais je jure devant les dieux que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour le faire évoluer. Era est grand. Et dans vingt-cinq ans elle le sera encore plus !

Des applaudissements enthousiastes accompagnent la fin de son discours.

La tête haute, Primas retourne auprès de son frère. Je vois ses lèvres bouger, un "bonne chance" murmurée. Je grimace. N'ayant pas le ton de sa voix je ne sais s'il le pense, ou non. Je ne peux m'empêcher de me méfier. Après toutes les tentatives d'assassinat dont je le soupçonne d'être a l'origine, il serait étonnant qu'il lui souhaite bonne chance sans arrière penser.

Damian se contente de lui sourire avant de prendre sa place sur l'estrade. Le dos droit et le regard posé sur l'arrière de la salle, il balaie les visages inconnus comme un roi observerait son peuple.

— J'ai longuement réfléchi à ce que je vous dirais une fois devant vous, commence-t-il et une panique sourde m'envahir. Je ne mentirais pas en disant que rien ne changera une fois que je serai roi. Des choses mérites d'évoluer, des sujets au besoin d'être traités et des inégalités doivent être abolies. Je refuse de prétendre une chose alors que j'aspire à d'autres. Si vous me donnez les rênes du pouvoir c'est que vous acceptez le changement. Des changements bénéfiques pour le pays. Que ce soit social, économique ou international – il jette un regard appuyé aux princesses qui lui rendent un doux sourire complice. Votre choix est donc celui-ci : continuer d'évoluer doucement ou donner un bon coup de pied à notre pays. La décision et l'avenir d'Era sont entre vos mains.

Je crois que je vais m'évanouir. De l'air j'ai besoin d'air. Je me retourne et retire mon masque pour prendre une grande inspiration. J'aurais clairement dû relire son discours ! Mais quel scorpion la piquer cet idiot ! J'ai la tête qui tourne, je me laisse choir sur le sol pour ne pas m'effondrer. Mes plans s'envolent en même temps que mes espoirs.

Les applaudissements retentissent. Je me tourne vers la foule, prêt à subir leur regard désapprobateur. Mais étrangement, peu arborent l'expression que je redoute. Beaucoup semble sérieusement réfléchir au mot du prince. Une minorité secoue la tête, mais le reste hésite. La réputation de Damian n'est plus à prouver et rien ne dit que certains pourraient effectivement aspirer à un changement brutal. Il est resté suffisamment vague sur le sujet pour laisser chacun y voir ses aspirations. C'était malin de sa part, je dois l'avouer.

Mais le vote n'en reste pas moins incertain. Ils se retirent. Désormais les dés sont jetés. Il ne reste plus qu'à attendre.


L'ombre du trône : Je veux le pouvoir, la couronne et la gloireWhere stories live. Discover now