Chapitre 3

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— Que lui est-il arrivé ? demandai-je.

L'expression de la capitaine s'assombrit et une pointe de culpabilité me mordit le cœur. Cette émotion n'était pas la mienne. Cette femme portait un lourd fardeau de regrets. L'homme dont ils parlaient, Adam, était mort. Était-ce lui la victime du mois d'octobre ? Avait-il été tué par un maniaque muni de griffes ? Par un animal ? La froideur de ces lames sauvages, pénétrant ma chair et déchirant mes organes vitaux, s'était imprimée dans mon ventre, si bien que je pouvais encore la sentir. Depuis que je les avais mentionnées, un malaise avait plombé l'ambiance de la pièce. Harris et Anderson avaient paru décontenancés.

— Monsieur Kelly, voulez-vous bien patienter à l'accueil ? Je dois m'entretenir avec mon lieutenant.

Je m'exécutai sans broncher. Commençaient-ils à me croire ? Leurs réactions ne laissaient place à aucun doute. Des griffes étaient impliquées dans cette affaire. Et n'étant pas dans la région en octobre, ils ne pouvaient me foutre cette histoire sur le dos.

Mes mains avaient cessé de trembler et mon angoisse commençait à se dissiper. Je n'avais pas eu d'autre choix. Je devais à tout prix reprendre mes esprits. Alors, quand le lieutenant s'était absenté, j'avais glissé un comprimé de buprénorphine sous ma langue. Les frissons et les douleurs osseuses qui me torturaient depuis mon réveil s'estompaient.

Derrière son comptoir, la Tatouée répondait au téléphone et d'après l'intonation de sa voix, la personne au bout du fil l'exaspérait. Je me perdis dans la contemplation du blason de la ville. L'ours, qui détenait une place particulière dans le folklore local, me rappela ma précédente vision. Cette image dérangeante de lames noires, luisant dans le clair de lune. Adam avait-il été attaqué par une bête sauvage ? Un ursidé, par exemple ? Le Montana regorgeait de grizzlis et d'ours noirs. Ces derniers, en quête de nourriture, se rapprochaient de plus en plus des villes. Et même si par leurs natures discrètes, ils pouvaient détecter un homme bien avant lui, et chercheraient par conséquent à l'éviter, une charge n'était jamais à exclure. Mais dans ce cas, pourquoi tout ce numéro autour de la victime ? Non. C'était un meurtre. Harris le lui avait dit.

Les questions tourbillonnaient dans mon esprit comme un essaim d'abeilles. Un vertige me saisit et je dus m'asseoir. Des émotions fortes imprégnaient les murs du commissariat, mélangeant le bien et le mal. J'enfouis mon visage dans mes mains et réalisai que je transpirais à grosses gouttes. Mes oreilles bourdonnaient. Ça recommençait. J'essuyai mes paumes moites contre le tissu rugueux de mon jeans. Les bruits ambiants s'étouffèrent, devinrent plus sourds. Je luttai contre la panique qui m'envahissait. Une vague passagère. Bientôt, la buprénorphine l'évincera complètement.

La porte du commissariat s'ouvrit et un vent glacial me saisit tout entier, apaisant légèrement cette angoisse. Deux flics vêtus d'épaisse veste, de gants et de bonnets enfoncés sur la tête pénétrèrent les lieux en riant. Je m'attardais sur le badge scratché sur leurs poitrines. Soller et Coffin. Toujours au téléphone, la Tatouée leur intima le silence dans un geste autoritaire. Malgré la réprimande, le duo conservait un sourire chaleureux et complice en se dirigeant dans la salle de restauration.

De quoi Casey Harris et Helen Anderson pouvaient-ils bien discuter ? Doutaient-ils encore de ma parole, malgré leur étonnante réaction ? Je m'étais rarement livré sur mon don. Je l'avais un jour partagé avec un ami que je pensais de confiance. Grosse erreur. Il m'avait humilié en répandant ma confidence dans tout le lycée. Déjà peu populaire, en raison de mon passé et de mon manque de sociabilité, j'étais devenu la risée, un paria... Insulté, bousculé, rejeté.

Un jour, l'un d'eux avait dépassé les bornes. « Tu finiras par devenir taré comme ton père. » avait-il craché à ma figure. Une violente bagarre avait éclaté dans les couloirs. L'autre subira des séquelles visuelles à vie et m'obligera à me présenter devant un tribunal. La gravité de la situation et mes antécédents avaient convaincu le juge à prendre des mesures sévères. La fin de ma scolarité, je l'avais passée dans un centre de détention juvénile, où on m'avait donné le temps de ressasser mon geste. Le psychologue de l'établissement m'avait conseillé d'écrire une lettre d'excuse à la victime, pour m'aider dans mon processus de rédemption. Après de multiples refus, je l'avais finalement rédigée malgré un manque évident de bonne foi. Jamais je n'avais reçu de réponse.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureWhere stories live. Discover now