Chapitre 21

46 6 10
                                    

La demeure des Pavel, érigée en trois étages de briques rouges, et surmontée d'un toit en ardoise, s'élevait à l'écart de la ville. Selon Nora Fawcett, Boris avait l'acquis de ses parents — Varara et Andrey — après la fuite de ces derniers. La maison étant cernée par les pins, je me demandais si les rayons du soleil arrivaient à se frayer un chemin à l'intérieur. L'ambiance devait y être morose en ces journées d'hiver. Je stationnai ma moto sur le terrain tortueux qui longeait la propriété et scrutai les alentours. Un silence absolu régnait. Une voiture était garée dans un jardin mal entretenu sur la gauche. Des buissons défraichis avaient pris possession des lieux, et des objets hétéroclites enduits d'une fine pellicule blanche recouvraient la terre ; scie, palettes en bois, pneus, pelle à neige, morceaux de tôle et arrosoir. Une ombre s'agita derrière les rideaux. Je gravis les marches du perron. Un banc en bois invitait à s'installer les journées d'été, et des jardinières suspendues sous les fenêtres habitaient autrefois des fleurs.

Je frappai à la porte et un chien signala ma présence. Par prudence, je reculai d'un pas. Boris Pavel ouvrit et un puissant mastiff, bave au coin de la gueule, bondit. Une impulsion sur son collier le freina avant qu'il ne puisse m'atteindre.

— Bonnie, tais-toi ! Je ne veux pas de votre aspirateur, mon opérateur me convient très bien et je n'ai pas besoin de nouvelle assurance.

Il repoussa la porte.

— Je ne suis pas un prospecteur, m'exclamai-je, monsieur Pavel, je suis là pour Nikita.

L'homme se stoppa, laissant quelques centimètres à peine d'ouverture.

— Qu'est-ce que vous m'voulez ? demanda-t-il après un moment de flottement.

Je décidai de poursuivre mon mensonge.

— Je suis détective privé.

— Vous avez une carte ?

— Les Blair m'ont engagé pour refaire la lumière sur cette affaire, révélai-je en éludant la question.

— Les Blair ? Qu'ils aillent se faire mettre ces gens-là. C'est en partie à cause d'eux que nos parents ont décidé de partir, et vous feriez mieux d'en faire autant, si vous ne voulez pas perdre un mollet.

Comme pour ponctuer sa phrase, Bonnie émit un grognement sourd. Il s'apprêtait à fermer la porte quand j'insistai.

— Vous ne voulez pas savoir ce qui s'est vraiment passé cette nuit-là ? Me donner votre version ?

— Je n'y étais pas.

— Mais Nikita était votre frère.

Un soupir s'échappa d'entre l'interstice.

— Entrez.

À peine eus-je fait un pas dans la maison que le molosse me renifla les pieds, recouvrant de bave le haut de mes bottes.

— N'ayez pas peur. Elle aboie, mais elle mord pas. Sauf si vous êtes là pour me dépouiller.

Mon hôte enclencha un interrupteur et un lustre en imitation de cristal illumina le vestibule. Un imposant escalier en bois verni, une moquette au centre de ces marches, donnait sur l'étage. Des photos de familles constellaient le mur à ma droite. Sur l'une d'elles, je reconnus l'adolescent disparu. Boris m'invita à le suivre sous une arche et l'on rejoigna le salon dans lequel une pendule à balancier annonçait une heure en avance. Il désigna un canapé agrémenté de coussins orange.

— Asseyez-vous. J'en ai pour une minute. Je voudrais vous montrer quelque chose.

J'obéis. Bonnie se coucha à mes pieds sur un grand tapis, la truffe collée à mes semelles. Dans une cheminée en pierre, des flammes crépitaient et réchauffaient la pièce, son encadrement décoré par deux gros bouquets d'œillets d'Inde. Une bibliothèque remplit d'ouvrages attira mon l'attention. Je reconnus des livres de cuisine, d'autres concernaient le travail du bois ou les plantes comestibles de la région. Je désirais arpenter le salon, mais à peine avais-je remué d'un millimètre que la chienne montrait les crocs. Mieux valait ne pas tenter le diable. Je ne bougerais pas.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureWhere stories live. Discover now