Chapitre 29

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La réflexion intense du soleil sur la neige immaculée m'aveugla un instant. Le froid intense me piqua la peau à travers mes vêtements. À peine eut-on fait un pas dehors que deux individus sortirent de concert de leur voiture. La présence d'une caméra, suspendue par une lanière autour du cou de l'homme, ne laissait aucun doute quant à leur identité. Ils étaient de ces vautours urbains avides de scandales et de sensations.

— Dites-moi que je rêve, maugréa Harris en dirigeant vers la Ford.

Quant à moi, je ne bougeai pas. Un souvenir venait de me paralyser de la tête aux pieds. Des années auparavant, mon nom et ma nouvelle adresse avaient fuité après le procès de Sean. Des camions de chaînes de télévision et de presses écrites n'avaient pas hésité à empiéter sur la propriété de mon grand-père, avides de dénicher un scoop ou une image du jeune garçon dont la mère avait trouvé la mort sous ses yeux. Je ne pouvais plus mettre un pied dehors sans affronter une armada de questions, les unes plus tordues que les autres. Si bien que les semaines suivantes, j'avais développé une peur panique de l'extérieur. Cette attention soudaine, les flashes des appareils photo, les micros tendus, le brouhaha des voix insistantes... ce tumulte médiatique me terrorisait, et je ne quittais les barricades de ma maison que pour me rendre à l'école.

Quand autrefois, j'adorais passer mes journées au grand air à errer la tête rêveuse dans la nature, je craignais désormais le monde. Je me terrais sous ma couverture, dans ma chambre aux volets clos et marmonnais des paroles réconfortantes que me disait ma mère. Je faisais des cauchemars, refusais de m'alimenter et piquais parfois des colères noires dans lesquelles je brisais tout ce qui se trouvait à la portée de mes mains.

Alan n'avait pas échappé à ces interrogatoires intrusifs. Les journalistes enfonçaient leurs lames dans la plaie causée par la perte de sa fille, assassinée par le père du garçon qu'il devait dorénavant élever. L'acharnement de ces reporters sans scrupules n'avait sans doute pas facilité mon acceptation par le vieil homme. Pourtant, avant la tragédie, on s'entendait à merveille. Il venait nous rendre régulièrement visite et m'emmenait en vadrouille, partageant son savoir sur les champignons et les oiseaux que l'on croisait lors de nos balades. Et puis, notre monde s'était écroulé et une faille s'était creusée entre nous pour ne plus jamais se refermer.

Dans le dernier souvenir de mon grand-père, je le voyais dans le rétroviseur de ma Triumph. Celui-ci m'observait depuis le palier de la maison. J'avais multiplié les stratagèmes pour retarder mon départ, tournant autour de la moto, vérifiant la pression des pneus, le niveau du carburant, les papiers. J'espérais un signe, un mot de sa part, n'importe quoi pour me retenir de partir. Moi aussi, en y repensant, j'aurais pu mettre ma fierté de côté et enfin balancer à Alan tout ce que je gardais sur le cœur, lui avouer que malgré ces années de silence, je l'aimais et ne lui en voulais pas. Aucun de nous ne fit le premier pas vers l'autre. Les liens étaient définitivement rompus. J'avais allumé le moteur puis m'en étais allé. On ne s'était plus jamais revus.

— Raphael ?

Je revins à moi. Je baissai les yeux sur mes mains. Elles tremblaient. Harris le remarqua aussi.

— Oui ?

Ma voix résonna mal assurée.

— Vous allez bien ?

— Qui est-ce ? m'enquis-je avec plus d'assurance.

— Jocelyn Keith et Brett Copeland, cracha Casey, comme si prononcer ces noms lui écorchait la gorge. Ces deux-là sont les pires. Ils ont campé pendant des jours devant les Taylor après la mort de leur fils. Ils pouvaient à peine sortir de chez eux sans se retrouver nez à nez avec une caméra et un micro dans la figure. On a dû les déloger plusieurs fois, en vain. Ils revenaient sans arrêt. De vraies moules sur leurs rochers. Ils ne partiront pas sans un morceau à se mettre sous la dent.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu