Chapitre 38

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Aucune vision ni aucun cauchemar n'avaient terni mon sommeil. Un répit si rare depuis mon emménagement à Bellwood. J'ignorais si cette accalmie venait de la présence de Sam. Quand l'aube naissante m'avait tiré des bras de Morphée, il dormait toujours et j'avais constaté qu'une couverture avait été déposée sur mes épaules. Sam avait dû se réveiller au beau de la nuit, avait récupéré ce plaid et était revenu se blottir contre moi avec une délicatesse silencieuse. Je m'étais pourtant promis de ne plus jamais retomber, pas après Sofia. Mon cœur devait rester cloîtré, le temps que je sois de nouveau prêt, de nouveau apte à accueillir quelqu'un dans ma vie sans prendre le risque de tout faire capoter. Or, les petites attentions, les regards en coin et ses sourires me donnaient du fil à retordre et érodaient cette carapace que j'avais mis tant de temps à construire.

J'étais sorti discrètement, laissant un simple mot à l'écriture maladroite. « Désolé de t'abandonner comme ça. Suis sur une piste. Je t'appelle plus tard. Tu peux laisser la clé sous le paillasson. » J'avais d'abord rendu visite à Nora Fawcett, l'épicière, pour la questionner sur la présence de cabanes de chasse dans la région. Elle m'avait révélé qu'il y en avait plusieurs disséminées ici et là. Une au nord, une à l'ouest et à l'est. Stephen LeBlanc, Rick Taylor et Oswald Beaver en possédaient notamment une chacun. J'avais posé la priorité sur celles-là. Fawcett ignorait cependant laquelle appartenait à qui, ce hobby ne l'intéressant pas du tout. Les cabanons servaient la plupart du temps de zone de stockage pour les équipements, de lieu de réunion et de refuge en cas d'intempéries.

Durant toute la matinée, j'avais vagabondé dans la forêt à la recherche de ces abris de fortune. Cette balade au cœur de la nature me fit le plus grand bien. J'adorais quand le ciel bleu et les températures négatives se partageaient la météo, sentir le froid sec me mordre les joues. À l'inverse, l'été et ses chaleurs excessives m'étouffaient.

J'entrepris de me rendre à l'est. D'après les directives de l'épicière, il s'agissait de la cabane la moins éloignée de mon domicile. Je reçus un SMS et souris en lisant le nom de Sam sur l'écran. Il me conseillait d'être prudent. Sans y répondre, j'activai le mode silencieux et glissai le téléphone dans la poche de mon bombardier. Après trois quarts d'heure de marche intense, j'atteignis enfin mon premier point de chute. Je fis glisser mon sac de mes épaules et en sortis une bouteille d'eau que je portai goulûment à ma bouche. Je m'essuyai avec ma manche et me rapprochai. Mon enthousiasme fut de courte durée. Les lieux étaient surveillés par une caméra, et contrairement au garage Dinsmore, un point rouge témoignait de l'état de marche du système de sécurité. J'extirpai un plan de la région que j'avais emprunté chez Fawcett et dessinai une croix sur mon emplacement que je devinai avec approximation. Je croquai un bout dans un sandwich que j'avais acheté le matin même, et repris la route vers l'ouest après avoir rangé mon attirail.

Deux bonnes heures plus tard, entre les arbres coiffés de givre et noyé dans un épais voile blanc, la silhouette d'un vieux cabanon à la façade décolorée et recouverte de mousse verdâtre se profila. Je m'assurai que le lieu était désert et m'en approchai avec prudence. Dans le silence ouaté, seul le craquement de la neige sous mes pas troublait la quiétude des lieux. Je frôlai les murs rongés par les intempéries et, au détour d'un angle, remarquai la présence d'un générateur. L'abri pouvait être fourni en électricité en cas de nécessité. Je revins sur mes pas et me penchai sur un carreau crasseux, une main en visière. Mon souffle s'écrasa sur la vitre et forma un halo de condensation. Plongé dans une semi-obscurité, je peinais à distinguer les entrailles du cabanon avec acuité, mais l'endroit respirait l'abandon.

Mes doigts s'enroulèrent autour de la poignée. La porte vibra, mais resta obstinément ancrée. De la moisissure esquissait des arabesques étranges sur le bois, certaines semblables à des visages hurlant de terreur. Je forçai d'un coup d'épaule et la gâche céda sans entamer le chambranle. La porte grinça sur ses gonds comme les lamentations d'une veuve esseulée et je pénétrai dans l'antre chargé d'une odeur de terre mouillée et de produits chimiques, tandis qu'une chape humide m'enveloppait pour me glacer jusqu'aux os.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureWhere stories live. Discover now