Chapitre 22

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« Aller, ce n'est pas si compliqué.» pestai-je depuis un quart d'heure devant le miroir.

Je ne comprenais rien à ce tuto internet. « Extrémité longue. Extrémité courte. Formez un X.» Mon nœud papillon ne ressemblait en rien à celui sur la photo. Le temps pressait. Sam allait arriver d'une minute à l'autre et je n'étais pas prêt. En examinant mon reflet, j'hésitai. Ce bordeaux attirait trop le regard et je détestais me faire remarquer. Sam avait soutenu que c'était une soirée sans grandes fioritures, mais je n'allais tout de même pas me présenter en jean usé et en sweat devant ses parents pour le réveillon. J'avais envie de laisser une première bonne impression auprès de quelqu'un. Ils avaient eu la gentillesse de m'inviter, j'aurais le respect d'être présentable. Je peignai mes dernières mèches rebelles en arrière et aspergeai de parfum les zones pulsatives de mon corps. Un dernier coup d'œil dans la glace. Mes joues étaient rasées de près, mais pâle par nature, aucune démarcation gênante ne remplaçait ma barbe.

Je fis les cent pas dans le salon. En tout et pour tout, le mobile home mesurait dans les 20 m². Cela m'était pleinement suffisant. Je vivais seul et les grandes maisons me mettaient mal à l'aise. Le danger pouvait surgir de n'importe où. Je m'arrêtai face à un mur. Au-dessus d'un minuscule écran plat, une vieille photographie me transporta vingt-six ans en arrière ; cinq ans à peine, j'étais assis sur les genoux de ma mère, un bonnet à l'effigie d'un caribou fixé sur le crâne, et derrière nous se tenait un homme au visage griffé, rendu méconnaissable. Un sapin de Noël sous lequel s'amoncelait une pile de cadeaux scintillait en arrière-plan. Cette journée ne résonnait pas en moi. Ma mémoire flanchait. De mon enfance, j'avais perdu la plupart de mes souvenirs. De la neige. Des forêts à perte de vue. Des bribes. Des bribes polluées par la violence. C'était tout ce qu'il me restait.

Je bifurquai dans mon bureau et étudiai mes notes. Sous la colonne consacrée à Nikita, j'avais ajouté deux Post-its intitulés « racisme » et « Campbell » à côté des noms d'Aaron Crawford et de Margaret. Je reculai. Les trois victimes de ces quarante dernières années m'imploraient du regard. Je m'étais empêtré dans un sacré bordel, mais bon sang, j'aimais la sensation qu'il me procurait.

Le moteur d'une voiture gronda sur ma parcelle de terrain. Une portière claqua. Des pas tapèrent les marches de mon perron et un poing frappa contre ma porte. Je sentis l'angoisse pointer le bout de son nez. « Détends-toi, ce n'est qu'une soirée.» Je lançai le nœud papillon sur le canapé et ouvris. Sam se tenait sur la terrasse, les mains dans les poches de son manteau par-dessus une chemise blanche. Des flocons drus saupoudraient sa chevelure auburn et lui tombaient dans les cils. Les lèvres étirées, il me contempla de haut en bas.

— Voilà, tu as trouvé une tenue finalement. Tu es prêt ?

J'écartai les bras.

— Ce n'est pas un peu trop... clinquant ?

— Tu es parfait. On y va ?

J'attrapai mon sac et claquai la porte.

— Tu monteras derrière, lança Sam, Chloe est devant.

Je me glissai dans la voiture. La jeune femme pivota sur son siège. Du phare marron soulignait le bleu de ses iris et ses lèvres fines arboraient une touche de rouge.

— Salut, Raph ! Dis donc, tu es sacrément chic ce soir.

Elle asséna un coup de coude à son frère qui m'adressa un clin d'œil complice à travers le rétroviseur central. Je lui retournai le compliment en apercevant la robe rouge qui mettait en valeur sa taille cintrée. Au moins, je ne serais pas le seul affublé de cette couleur.

Après un bref trajet, la voiture s'arrêta devant une maison de style colonial, illuminée par des guirlandes. Je descendis, hypnotisé par toutes ces lumières semblables à des étoiles. Les Greene n'avaient rien à envier aux demeures voisines de ce quartier résidentiel. Une main se posa dans mon dos avec délicatesse, comme pour m'encourager à avancer.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureWhere stories live. Discover now