Chapitre 19

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J'enjambai le trou et m'assis à l'extrémité du ponton, les pieds suspendus dans le vide. Une brume mystique enveloppait le lac, et les vaguelettes portaient en elles des murmures étouffés. Rêvais-je ? J'observai ma main. J'avais lu que pour discerner le songe de la réalité, certains utilisaient ce stratagème. Si un doigt manquait, ou si un avait poussé, alors vous rêviez. Rien à signaler. Dix longs doigts, tout à fait normaux, ornaient mes deux mains. Mais cette drôle d'impression dans l'air me prenait aux tripes.

Un souffle glacial caressa ma nuque et serpenta le long de mon dos. Je remontai mon col et la laine de mouton me gratta la peau. Je tâtai fébrilement le tissu. Elle était là, l'erreur dans cette fausse réalité. Ce manteau, je l'avais jeté. Dans le néant, les corbeaux signalèrent la présence d'un intrus dans leur territoire. Puis une planche craqua juste derrière moi. Quelqu'un, ou quelque chose se tenaient là, à l'autre bout du ponton. Je me redressai et, les paupières plissées, tentai de percer l'épais brouillard. Rien. Seulement un blanc opaque à trois cent soixante degrés.

— Eh, oh ?

Aucune réponse. Un pas en avant. Le bois gémit. Je m'arrêtai, le souffle court et le geste en suspens. Deux petites billes jaunes et immobiles me fixaient. Mes poils se dressèrent. Je cessai de respirer par crainte d'être entendu. Le vent ne soufflait plus. Du haut de leurs cimes, les charognards ne croassaient plus. Impossible de déceler le moindre signe de vie.

Puis une forme floue, à ras le sol, se rapprocha pas à pas jusqu'à devenir distincte. Je m'avançai à tâtons en direction du goupil et tentai de le contourner, mais celui-ci s'acharnait à me barrer la route. J'observai la surface plane du lac. Je n'avais aucune envie d'y replonger, même pour de faux.

Dans un silence absolu, l'animal marcha vers moi, son regard doré, hypnotique, ancré dans le mien. Dérangé par cette insistance, je reculai, les talons dans le vide et les jambes agitées sous un torrent d'adrénaline. Je fixai le liquide noir sous mes pieds. Cette impression de fond abyssal me donna le vertige, et je faillis le rejoindre si je n'avais pas écarté les bras pour retrouver mon équilibre.

« Ressaisis-toi, ce n'est qu'un rêve. Tu vas te réveiller. Tu es en sécurité.»

À la recherche d'une explication à ce songe insensé, je lorgnai par-dessus le renard, dorénavant assis, mais la visibilité se révélait médiocre. Seule la présence récurrente de cet être roux liait ces rêves. Quelle en était la signification ? Que cherchait-il à me dire ? Hasna avait été retrouvée. Maya manquait toujours à l'appel, mais j'étais convaincu qu'elle était en vie. Si ce n'était pas le cas, la petite se serait aussi trouvée dans la voiture. Non ?

Un mouvement dans le coin de mon œil attira mon attention sur la surface du lac. Une ombre avait bougé là-dessous. Alors que je me penchais pour mieux y voir, une force invisible me frappa à la base du crâne. Je m'écroulai à genoux et, du bout des doigts, tâtai la zone meurtrie. Ces derniers revinrent couverts d'un liquide sombre empestant le fer. Un second coup m'envoya dans les flots. Je frappai la vase et embrassai la surface. La dernière chose que je vis fut le renard, observant la scène, avant qu'une poigne de fer s'enfonce dans mes cheveux et me maintienne la tête sous l'eau.

—...elly ?

Ce n'était qu'un rêve. Et malgré tout, je me débattis comme si ma vie en dépendait. La douleur était telle que l'instinct de survie prenait le dessus sur la raison.

—...elly  ? Kelly, ...eillez-vous.

L'étau se resserra. Je m'acharnai sur cette main puissante qui me noyait, plantai mes ongles dans sa peau, griffai la chair. Doté d'une intention féroce, mon agresseur ne cédait pas. Cette même haine transparaissait à travers des voix intelligibles, perdues dans les chuchotements sourds du lac.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant