Chapitre 12

57 5 8
                                    

La salle d'autopsie était un sanctuaire d'acier inoxydable et de carrelage d'une pureté immaculé. La dépouille reposait devant moi, étendue sur une table et baignée dans la lueur intense des éclairages destinés à éradiquer les ombres. Une incision en « Y » marquait sa cage thoracique tandis que son intimité demeurait préservée sous un drap blanc. Confronté à cette nudité crue, un haut-le-cœur me serra la gorge. La réalité de sa mort me frappait avec la force d'un coup de poing dans l'estomac. Toute lueur d'espoir s'était éteinte. Hasna Malek n'était plus. Malgré le baume à la menthe généreusement tartiné sous mon nez, l'odeur âcre du formol mêlée aux émanations corporelles agressait mes narines. Le genre d'odeur écœurante, presque palpable qui s'incruste dans les fibres de nos vêtements et qui nous poursuit au-delà des murs.

Une partie de moi — et je m'en voulais — jubilait d'avoir prouvé à Harris et aux autres, que je n'affublais pas. Tout ce que je leur avais dit depuis le début était réel. Hasna avait été assassinée, et Maya avait disparu. Ma mésaventure au motel n'avait reflété qu'une parcelle de la torture subie par la jeune femme. Comme elle, je m'étais retrouvé emprisonné sous la surface. L'eau avait pénétré mes poumons. Le froid avait transpercé ma peau. La terreur s'était emparée de moi, suivie de près par un désespoir croissant à mesure que les secondes défilaient et que l'oxygène diminuait. Mais contrairement à elle, je m'étais réveillé indemne de ce cauchemar.

En sueur, le lieutenant Harris, qui pourtant devait être rompu aux horreurs de la profession, semblait lui aussi mal à l'aise devant le cadavre gonflé par les gaz de fermentation. Malgré la teinte verdâtre de sa peau, de son corps distendu et de ses yeux dévorés par les poissons, l'identité de la victime était indéniable. Thomas Bowman, libéré entre temps, avait formellement reconnu son épouse et les analyses ADN l'avaient par la suite confirmé. Visiblement en état de choc, son mari n'avait versé aucune larme et s'était contenté de demander si Maya se trouvait à bord du véhicule. À la réponse négative, une ombre de soulagement mêlée à une subtile pointe de remords s'était dessinée sur son visage. Mais cela ne me suffisait pas à susciter la moindre empathie. Je ne ressentais rien d'autre qu'un profond mépris pour cet homme endeuillé en quête de sa fille. Bowman ne méritait aucun pardon. Les souvenirs des sévices subis par Hasna étaient encore trop frais dans ma mémoire​​​​, et l'idée que celui-ci n'aurait jamais à répondre de ses actes renforçait mon aversion à son égard.

— Je vous admire docteur, avoua Casey, je ne sais pas si je pourrais plonger mes mains dans des cadavres à longueur de journée. Ma femme se plaint souvent que je ramène l'odeur de la mort à la maison, même quand je m'efforce de prendre une douche après une visite à la morgue. C'est comme si cette odeur me suivait partout.

— On finit par s'y habituer, lieutenant, rétorqua Sutherland, et il faut bien que quelqu'un se charge du sale boulot. Sans nous, vous ne seriez pas capable de voir ce qu'il y a à première vue d'invisible pour les yeux.

— Vous avez fini d'examiner le corps ?

— Mon rapport est sur la table.

— Je ne cracherais pas sur un petit résumé.

La légiste, nullement incommodée par cette vision, se rapprocha de la table. Des éclaboussures de sang souillaient sa blouse bleue, tandis qu'une charlotte maintenait en place son chignon blond. De ses mains gantées, elle tourna délicatement la tête comme si elle redoutait de blesser la défunte. Une contusion sur le côté de son crâne se dissimulait derrière de sombres mèches poisseuses, qui s'accrochaient à sa peau comme des tentacules voraces. Je fis un pas en avant, le cœur lourd. Toute beauté avait déserté le visage de Hasna, qui ne ressemblait plus qu'à une éponge gorgée d'eau, figée dans l'agonie. Ses orbites vides fixaient le néant de leur regard macabre. Un frisson me saisit. Même dans mes pires cauchemars, jamais je n'avais vu pareille horreur. Casey se pencha au-dessus du corps, scrutant avec attention la blessure en forme de croissant de lune.

Le Passé Ne Meurt Jamais [BxB] En RéécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant