Chapitre 6 : Morphée

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Arrogante ne signifie pas insensible.

Violente ne signifie pas sans blessure.

Troublante ne signifie pas unique.

Mauvaise joueuse ne signifie pas gagnante.

Rêveuse ne signifie pas irréaliste.

Abandonnée ne signifie pas seule.

***

Voilà plusieurs minutes qu'un duel de regards avait commencé entre nous. Il n'était pas décidé à lâcher mon bras et je n'avais pas l'intention de le suivre. Nous nous fixions et je dois reconnaître que j'eus l'impression qu'il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. C'était franchement insupportable ! Quelqu'un se permettait de me... quelque chose comme mettre à nue avec un seul regard... Inadmissible ! Personne ne m'approchait à moins que je n'en ai décidé autrement.

Je ne savais pas si c'était dû à ces yeux verts, très clairs, émeraudes ou seulement à mon imagination. Dans tous les cas, nous étions figés et aucun de nous ne semblait prêt à perdre. S'il ne détournait pas le regard, je ne le détournerais pas.

Ce duel, avec cet insupportable être malpoli, me permit tout du moins de l'observer à ma guise. Il m'avait dit qu'il était un homme et je ne savais pas si je pouvais le croire, lui faire confiance. Comme si moi, l'incroyable Anaëlle, je pouvais trouver quelqu'un digne de moi et de ma confiance. Pff... Cette Chose n'était rien comparée à moi. Une futilité ! Un embêtement que je devais régler ! Il fallait dire que nous n'étions pas partis sur de très bonnes bases : un couteau, une course poursuite, un combat, des insultes et maintenant un duel. Je pouvais aisément en déduire que cette rencontre avait été intense, la plus mouvementée (et la seule !) de toute ma vie de recluse.

Malgré moi, vraiment malgré moi, je le croyais, puisque je pensais désormais à cette Chose en utilisant le pronom impersonnel " lui" et le personnel « Il », ceux donnés aux hommes. Cette caractérisation du langage allait vraiment être le départ de recherches approfondies. Tout cela n'avait pas trop de sens.

Il était brun, comme l'était Charlotte ou Marie, ses cheveux étaient en bataille, je me demandais si le concept "se coiffer" lui avait déjà traversé l'esprit, si tenté que ce monstre, en face de moi, destiné à me ruiner la vie, soit un tant soit peu humain. Je ne sortais pas de cette boucle de déni.

Ce que je n'expliquais pas par contre, c'était ses yeux. Ses yeux, d'un vert clair. Ils me perturbaient beaucoup. Sans le quitter du regard, et d'une voix que je voulus imposante, calme et froide, je lui demandai :

-Tu n'as jamais pensé à te coiffer ?

Il esquissa un sourire diabolique avant de me répondre sarcastiquement, sans détourner son regard :

-Eh bien, figure-toi que si !

Je fis une moue étonnée.

-Je sais que cette idée te laisse sceptique, répondit-il en se moquant de moi, mais figure-toi qu'avant de rencontrer une certaine folle furieuse j'étais très bien coiffé. Malheureusement pour moi, j'ai croisé la route d'une emmerdeuse de première, qui m'a fait toucher le sol plus d'une fois, qui m'observe très bizarrement depuis tout à l'heure et qui a décidé de commencer un duel de regards avec moi.

Je lui adressai un sourire rayonnant.

-Oh, si tu savais comme ça me rend heureuse ! Tu sembles laisser paraître une capacité humaine ! Tu sais te coiffer enfin, tu l'affirmes mais après tout je n'en sais rien... Vraiment, je suis contente de savoir que la Chose que j'ai en face de moi, présente une caractéristique qui ne m'est pas inconnue et qui la rend un peu normale. Maintenant, l'idiot aurait-il l'obligeance de me laisser partir ? De retourner à ses petites affaires, avec sa brosse et ses autres amis ?

Il soupira longuement, se massa les tempes.

-Bon je vais essayer autre chose, commença t'il. S'il te plait, Anaëlle, aurais-tu l'obligeance de venir avec moi ?

-Ah, mais on dirait que tu me parles "gentiment" ou mon esprit me joue des tours ? lui répondis-je sarcastiquement.

-Oui. Maintenant, veux-tu bien arrêter tes caprices de petite fille égoïste et me suivre ?

-Eh bien...

-Oui ? me demanda-t-il plein d'espoir.

-Non ! Pas dans cette vie, ni dans aucune autre. Ne cherche pas, il n'y a aucun moyen pour que je te suive ! De plus, je ne te connais pas et même si je ne sais pas comment tu connais mon prénom, je vais te demander de ne pas le prononcer tant que je ne te l'aurai pas officiellement dit.

Il poussa un grognement de rage, lorsqu'on commença à entendre, au loin des cris :

-Anaëlle ! Anaëlle ! Anaëlle !

De nombreuses femmes étaient en train de me chercher. La Chose immonde, enfin pas si laide, se redressa d'un coup et commença à courir, en m'entraînant, malgré moi. Même si, je l'avoue, j'avais un peu oublié ma résistance. Certes, je ne voulais pas partir avec cet être, mais l'idée même de retourner dans Annie Avenue me tuait. Il entra dans une petite ruelle, se plaqua au mur, et me colla à lui.

Cette proximité me rendit vite très mal à l'aise, j'avais l'impression d'être étroitement enlacée à lui. Je percevais très clairement les battements de son cœur, rapides à cause de la course. J'espérais qu'il pensait que l'accélération du mien, s'il l'entendait, était due aux mêmes raisons. Je gémis en essayant de me dégager ! Personne n'avait le droit de me toucher ! Il devait me lâcher, tout de suite, sinon je ne répondais plus de mes actes !

Mon souffle était saccadé et je n'arrivais pas à le calmer.

Les voix se rapprochaient.

-Anaëlle ! Anaëlle ! Tu es là ? Anaëlle ! Anaëlle !

Je commençai à sentir l'angoisse monter. Si elles me trouvaient, je devrais repartir dans Annie Avenue et si la Chose à laquelle j'étais enlacée était bien un homme, que m'arriverait-il lorsqu'ils nous auraient trouvé ? Le code civil était clair : aucune clémence. Les hommes et les femmes n'avaient aucun contact avant les vingt ans de cette dernière. J'étais inquiète. Vraiment inquiète. De plus, l'autre débile ne voulait pas me lâcher !

Ma respiration ne se calmait pas, au contraire. J'avais l'impression qu'elle accélérait de plus en plus. J'étais sur le point de crier pour qu'il me lâche, je ne pouvais plus supporter cette proximité physique. La Chose dut le remarquer car elle releva ma tête du bout des doigts et me fit signe de faire silence, en posant un doigt sur sa bouche. Mais, je n'y pouvais rien. Je ne pouvais pas me calmer. Il posa alors sa main sur ma bouche afin d'étouffer le bruit. Mon angoisse se multiplia, j'allais craquer ! Je voulais m'enfuir, courir ! Il n'avait aucun droit ! Qui pensait-il être ? Je tentai de le frapper. Je gesticulai davantage dans l'espoir de me dégager, quand une pression au niveau de mon cou me stoppa subitement. Mon corps se relâcha et comme une poupée de chiffon, je tombai dans ses bras. Je n'avais plus aucun contrôle sur mon corps. Il était lourd...

Je voulais protester, me dégager, partir loin mais le noir prenait place dans mon esprit. Alors, sans même m'en rendre compte, enlacée dans les bras d'une chose qui m'horripilait, Morphée m'accueillit dans ses bras et je sombrai.

La Clef de mon PasséKde žijí příběhy. Začni objevovat