Chapitre 1 : Se remettre

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Tes yeux brillent. Je sens ta peine. J'ai le cœur lourd, je veux te dire que je comprends, que je suis là. J'ai besoin de te serrer contre moi, de t'apaiser. Tu cherches tes mots, tu essaies de sourire, de continuer à avancer, de dire que ça va. Mais, je vois bien que ça ne va pas. Je me serre contre toi. Je veux te donner de la force, un peu d'amour. Te dire que tu n'es pas seul ici. Que je suis là. J'ai mal pour toi. Je m'approche, j'effleure ta joue, je serre ton épaule. Je m'éloigne. J'ai le cœur lourd d'une peine qui n'est pas la mienne. J'ai envie de pleurer pour un malheur qui n'est pas complètement mien, mais je dois te laisser avancer.

***

Je m'étais assoupie dans un grand fauteuil. Je secouai la tête en me réveillant au son des cloches. Elles sonnèrent un long moment. J'étais interloquée.

-Elles sonnent un coup pour chaque personne décédée ces derniers jours. Nous leur rendons hommage. Nous avons dit au revoir à nos morts : nos amis, nos proches...

Ses yeux étaient embués de larmes. Je me redressai et lui dis :

-Tu as perdu beaucoup de monde ?

Il me regarda un peu perdu.

-Je... sa voix coupa.

-Le garçon qui est mort à l'Eglise ? demandai-je d'une petite voix.

Il soupira longuement puis finit par me répondre.

-Il était comme un frère pour moi. Maxence était médecin lui aussi. Il m'a appris beaucoup de choses... C'était une sorte de mentor. Il s'est fait passer pour mort il y a très longtemps et opérait ici en secret. Je lui disais tout. C'était mon plus proche confident.

-Je... Je suis désolée pour ta perte, murmurai-je.

-Ecoute... il savait ce qu'il restait en se lançant dans cette opération. Comme nous tous. Tout va au-delà de nos vies maintenant. Bien au-delà. Si la mort devait nous faire peur, nous ne serions pas peur à faire bouger les choses.

Je gigotai nerveuse, me levai et fis les cent pas.

-Que t'arrive-t-il ? me questionna-t-il.

-Je... Tu sais, moi je ne suis pas prête à mourir.

Il soupira.

-C'est à force de côtoyer la mort que tu t'y résous, que tu en as moins peur, que tu finis même par l'attendre.

Je me figeai. Il fuit mon regard et attrapa deux tasses, fit quelques mélanges. Il s'approcha et m'en tendit une.

-J'ai besoin de réponses, commençai-je.

-Je sais bien.

Je m'enfonçai dans le canapé en attente de la suite. Il sourit doucement.

-Tu veux vraiment tout savoir ?

J'acquiesçai.

-Bon, je vais commencer par te parler de choses... non-sensibles, si je puis dire. Tout dire n'est pas possible pour l'instant.

J'allais protester mais il leva la main.

-C'est ça ou rien ! contre-attaqua-t-il.

Je soufflai assez fort pour lui faire comprendre qu'il m'énervait. Il en fit fi et continua :

-Bon alors que puis-je te dire ? Qui est Louna pour moi ? J'ai rencontré Louna après son couplage bien sûr. Elle est sortie d'Annie Avenue et tenait la seule boutique de livres du pays. Je crois que c'est l'un des endroits les plus contrôles et vérifiés dans ce foutu pays. Elle faisait du recel de bouquins. C'est comme ça qu'elle a mis la main sur des bouquins interdits comme Shakespeare. Elle jouait un peu avec le feu mais tant que personne ne la voyait pas de problème. Elle était dans les bons papiers du roi et de la reine grâce à ses excellents résultats aux tests d'Annie Avenue. Avec Julien, c'était le bonheur parfait. Ils ont filé le parfait amour jusqu'à...

Il se raidit mais continua :

-Louna est vite tombée enceinte. Dans un premier temps, elle n'a jamais senti autant de bonheur. Puis, elle a compris ce que cela signifiait : leur enfant ne serait jamais leur. On allait lui prendre. Elle est devenue dépressive. C'est là que la reine m'a envoyé pour m'occuper d'elle. J'ai fait leur rencontre.

-¨Pourquoi la reine... interrompis-je.

-Chut ! Je reviens à ça tout à l'heure. Je disais donc que j'avais fait leur connaissance alors que Louna était en profonde dépression. Je l'ai oscultée. Mais, il n'y avait rien à faire. Perdre son enfant était beaucoup trop pour elle. Julien ne supportait plus de la voir ainsi. La vie du bébé était aussi en danger. Elle ne mangeait plus, elle ne bougeait plus. Nous avons vraiment pensé qu'elle allait y laisser la vie. Je suis devenu très ami avec Julien, mais un vrai lien est né entre Louna et moi. J'ai essayé de prendre soin d'elle, elle a essayé de me confier ses maux. « Je ne peux... Je ne peux pas leur donner mon bébé, a-t-elle pleuré dans mes bras. Je ne veux plus vivre si c'est comme ça. » Je voulais à tout prix trouver une solution, et la seule qui m'est apparue a été de les faire disparaitre. Julien n'a pas hésité une seule seconde, il était prêt à tout laisser, à mourir pour la, pour les sauver. Le futur départ et l'espoir de liberté ont redonné vie à Louna. Elle a recommencé à se nourrir. Le plan s'est mis en place de lui-même. Leur maison devait brûler et des os d'animaux que je retrouverais lors de l'autopsie, je conclurais à la mort irrémédiable des deux individus. Mais rien ne s'est passé comme prévu ce soir-là. Louna était enceinte de cinq mois. La maison a brûlé juste après l'heure du couvre-feu. La nouvelle s'est répandue comme une trainée de poudre et les gens ont accouru. Deux personnes n'étaient pas mortes d'un fait accidentel depuis longtemps. Nos dirigeants s'étaient assurés d'avoir le pouvoir total sur notre droit à la vie et notre droit à la mort. Mais, alors qu'il se dirigeait vers l'entrée des tunnels, un garde les a interceptés. Il a eu le temps de poignarder Louna avant que Julien ne le tue. Il a caché le corps tant bien que mal, mais a dû porter sa femme dans les couloirs souterrains et elle perdait beaucoup de sang. Je les attendais au Centre et Louna était presque morte quand ils sont arrivés.

Il déglutit difficilement.

-Je n'ai rien pu faire pour le bébé... Elle, elle avait perdu trop de sang... Je lui ai sauvé la vie ce jour-là mais elle a perdu une part d'elle-même. Elle n'a plus jamais été exactement la même personne. La douleur brise ou rend plus fort. Ça a été un mélange des deux pour Louna. Sa convalescence a été longue et laborieuse mais elle s'est relevée. Je ne sais pas comment, mais elle l'a fait. Julien a ses côtés, ils ont tout mis en place pour se rétablir. Elle a essayé de le repousser au départ trop prise par sa peine. Mais, il ne l'a pas laissé faire. Il n'avait pas l'intention de la laisser s'en aller comme ça. Ils étaient dans cette histoire à deux. Tu peux avoir l'impression d'une jeune fille fragile, douce, trop douce. Elle se donne des airs de personne niaise. Elle est pourtant la femme la plus forte que je connaisse. J'ai une admiration très profonde pour elle. Elle... Elle cache très bien son jeu. Ne jamais la sous-estimer : C'est tout ce que je peux te conseiller!

La Clef de mon PasséWhere stories live. Discover now