Chapitre 6 : Valère

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Quand tu haïs quelqu'un c'est parce que tu ne peux pas ressentir autre chose à son endroit.

Quand tu jalouses quelqu'un, c'est parce qu'il reflète tout ce que tu n'es pas.

Tout ce que tu n'es plus.

Quand tu maltraites quelqu'un, c'est parce que tu veux le voir souffrir comme toi tu souffres.

Quand tu persécutes quelqu'un, c'est pour éviter de le voir si heureux, si bien.

Quand tu fais le mal autour de toi, c'est parce que le mal règne chez toi.

***

Je me savais invisible et intouchable, pourtant les battements de mon cœur ne faisaient que se décupler. J'étais de nouveau à Annie Avenue. Annie Avenue. Prison. Fouet. Sang. Seule. Violente.

Emmanuelle était près d'un grand portail. Sûrement, celui à l'ouest ou à l'est, qui nous avait toujours était interdit. Peut-être allai-je enfin découvrir ce bout de mystère ?

Cachée derrière un arbre, elle semblait attendre quelque chose. Alors, que ma respiration était aussi saccadée, que celle de la jeune femme, le bébé se réveilla. Les yeux grands ouverts, la petite observait. Elle gigotait afin de tout voir. Je crois que ce regard, d'un enfant qui découvre le monde, était un des plus beaux que je n'avais jamais vu. Si innocente, si loin encore de notre réalité. Dans quelques instants, elle serait seule. Enfermée dans cette prison jusqu'à ses dix-neuf ans. Elle deviendrait soit, une fille comme les autres, une de celle que je hais pour être si parfaite, soit, comme tout le monde semblait le penser, le courant d'air qui ferait s'écrouler le château de cartes.

J'entendis des pas réguliers qui m'interpellèrent. Je reconnus tout de suite le pas des gardes royal. Mais que faisait-il aux alentours d'Annie Avenue ? J'eus bien vite la réponse à ma question : il portait des enfants, beaucoup d'enfants.

Et alors je compris.

Je m'étais toujours demandé comment toutes les petites filles arrivaient à Annie Avenue, après avoir été arrachée à leurs géniteurs. A présent, je le savais. Ces clowns, asservis au pouvoir du Roi et de la Reine, se chargeaient de l'acheminement de tous les enfants. Les gardes traitaient les enfants comme de vulgaires objets, comme des êtres sans vie.

Plusieurs bébés pleuraient et déchiffrer le visage des gardes n'était pas bien compliqué. Ils étaient des monstres. Il m'était totalement impossible de considérer ces soumis, comme des humains, avec une âme et un esprit, quand je voyais l'étendue des horreurs qu'ils accomplissaient.

Je me tournai de nouveau vers Emmanuelle et je vis qu'elle s'était concentrée sur un garde en particulier. Il semblait plus jeune que les autres, moins sûr de lui, un peu perdu. Il tenait seulement une petite fille dans ses bras, contrairement aux autres, qui en tenaient deux, trois voire quatre, d'où ma profonde répulsion envers eux.

Toujours au même rythme, la garde royale avançait. Emmanuelle sortit de sa cachette discrètement, tout en se dirigeant vers le dernier. Elle se plaça juste derrière lui, sans qu'il l'aperçoive. Elle lui parla, et le déstabilisa juste un peu plus.

-Toi !

Le jeune homme se retourna, étonné.

-Moi ? répondit-il.

-Non, je parle au bébé dans tes bras ! répondit la femme avec un air sarcastique. Bien sûr, idiot !

Le jeune confus et très mal à l'aise rougit vivement.

La Clef de mon PasséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant