Julie_Dnr/FoxxyNight

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Une énorme rafale de vent secoue le châssis de la fenêtre à travers laquelle je regarde le ballet silencieux de la neige. Elle recouvre le malheur des hommes de son manteau immaculé. Ses flocons me fascinent. Ils cachent le goudron défoncé de la nationale qui passe en bas de chez moi, ensevelissent le toit des immeubles détruits qui me font face, dissimulent les cadavres qui jonchent les trottoirs. Leur indifférence me fait rêver.

J'ai faim. J'ai soif. La crasse forme presque une deuxième peau sur mon corps transi de froid. Du sang séché macule mes vêtements. J'ai l'impression d'être un glaçon.

Pourtant, je n'arrive pas à m'arracher de ma contemplation silencieuse. Je ne sais pas ce que j'attends. J'espère probablement que la neige emporte avec elle l'horreur des derniers jours, qu'elle enfouisse le souvenir de ma vie d'Avant sous une couverture d'oubli.

J'ai terriblement mal aux jambes. Je me résous à m'asseoir et entoure mes genoux de mes bras. Je presse ma poitrine contre mes cuisses et lève la tête pour continuer de fixer les flocons crachés par les nuages grisâtres.

Je ne sais pas combien de temps je reste assise là. J'ai perdu tous mes repères temporels.

La nuit est tombée depuis longtemps lorsque je me relève enfin. Je ne vois plus rien de toute façon. Les lampadaires se sont éteints il y a une semaine et le ciel est dépourvu de lune ce soir. Quel jour sommes nous? Quand arrive Noël?

Mes genoux tremblent et s'entrechoquent tandis que je fais quelques pas hésitants. Je me dirige vers ma cuisine. J'ouvre le robinet qui ne crache que quelques jets d'eau trouble avant de ne plus rien donner du tout. Je sens l'odeur de pourriture émanant de mon réfrigérateur. J'ouvre l'un de mes placards et en sors une boite de biscuits sûrement rances.

Je me force à en avaler un... Et le vomi quelques secondes plus tard. Mon organisme affaibli par ces heures de veille ne semble pas capable d'ingurgiter une quelconque source de nourriture. Je me laisse glisser contre le plan de travail en marbre. Je prends ma tête entre mes mains. Que vais-je faire maintenant que je n'ai plus personne sur qui me reposer?

Ne serait-il pas plus simple de mourir maintenant?

Je retiens ma respiration. Une seconde. Je ne sais pas si je vais tenir. Deux secondes. Après tout pourquoi pas? Trois secondes. Ma poitrine se serre. J'ai mal. Quatre secondes. Mes paupières s'alourdissent. Nathan me sourit. Cinq seconde. J'ai la tête qui tourne. N'abandonne pas... Six secondes. Tu promets? Sept secondes. Je vois des étoiles. Huit secondes. Je te le jure... J'ouvre les yeux d'un coup.

J'inspire profondément une gorgée d'air saturé de poussière. Je revois sa petite bouille d'ange devant moi. Je sens sa petite main se refermer sur la mienne avant qu'il ne s'endorme pour toujours.

N'abandonne pas. Tu promets?

Je te le jure mon Nathan...

Pourquoi? Pourquoi cette ridicule promesse que j'ai faite à mon petit frère m'empêche d'aller le rejoindre?

Je presse mes paupières pour ne pas pleurer. J'ai l'impression qu'il essuie la larme qui roule sur ma joue, que son minuscule doigt caresse ma peau, pour me dire que je ne suis pas seule.

-Qu'est ce que je dois faire Nathan?

Est-ce que j'espère vraiment une réponse de sa part? Est-ce qu'il a pu entendre mon chuchotement de là où il est? Je répète, plus fort, comme si cela pouvait changer quelque chose:

-Qu'est-ce que je dois faire Nathan?

Maintenant je hurle. J'ai besoin de lui. Où es-tu mon petit frère chéri?

-QU'EST-CE QUE JE DOIS FAIRE NATHAN?!

J'ai la voix fêlée. Je ne pleure plus. Je ne sais pas pourquoi. Je n'ai plus envie de pleurer. Je suis comme déconnectée de mon corps.

N'abandonne pas.

-C'est tout ce que tu as à me dire?

Pas de réponse. Je suppose que ça veut dire oui. Je me mets à genoux. J'ai la tête qui tourne. J'ai envie de hurler mon malheur au monde, lui crier qu'il est injuste, que je le déteste. Mais je n'y arrive définitivement pas.


Je marche depuis une vingtaine de minutes, emmitouflée dans l'écharpe rongée par les mites qui a appartenu à ma mère trouvée sur le portemanteau de l'entrée. Les flocons se déposent sur mes cils et mes cheveux, me brûlent les joues et les mains, me gèlent tout entière. Je ne suis plus qu'une silhouette avalée par la nuit, comme tous ces cadavres dont l'odeur de pourriture me pique les narines. Je ne sais pas ce que je cherche. Je ne sais plus.

Au loin, les arbres secouent leurs branches désincarnées, pâle vestige de la magnificence qu'était le square de mon village. Je me rappelle de la joie de Nathan lorsque nous allions "jouer au parc tous les deux!"... De sa concentration pour ne pas trop nous montrer son excitation. De son rire lorsqu'avec ma mère nous le prenions sous les bras pour le faire "voler". De ses rires. De ses "Encore Cassie!". De sa draisienne bleu fluo roulant sur le bitume, devenue moto de compétition pour un temps.

-J'ai compris Nathan, je vais au parc.

Je me dirige en tremblant vers le lieu qui a accueilli tant de nos jeux et de ses sourires innocents.

Concours de Noël 2016Where stories live. Discover now