Dokapim92

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« Je dois partir. Je ne serai pas là pour Noël. Ne t'en fais pas, ma chérie, je serai bientôt de retour. Je t'écrirai tous les jours, je te le promets.

Je t'aime. »

La jeune femme replia la lettre. Ses mains manucurées tremblèrent en déposant le papier sur la couverture du lit. Elle se sentit incapable de se lever. Ses yeux bleus se posèrent sur sa main gauche. A son annulaire brillait un diamant serti, tout neuf.

Ils s'étaient fiancés trois jours auparavant. Ils ne pensaient qu'il serait appelé si vite. Des larmes jaillirent, salées, intarissables. Il s'en allait combattre, il partait pour la France rejoindre ses camarades déjà sur le front. Ils devaient débarquer au large des côtes normandes, il le lui avait expliqué dans sa missive.

Son instinct féminin lui soufflait que c'était la dernière fois qu'elle le verrait. Son cœur se serra. Elle ne pouvait pas le laisser partir ainsi. Il lui fallait quelque chose. Un dernier souvenir. Rien de triste. De quoi se remémorer pendant les moments les plus difficiles. Il n'allait sans doute pas pouvoir fêter Noël comme il aimait. Le visage de la jeune femme s'éclaira. Elle chassa les larmes d'un revers de la main, sauta sur ses pieds, revêtit un manteau rouge, enfonça un béret de la même couleur sur ses boucles blondes coiffées à la dernière mode et sortit à la hâte de chez elle.

Dehors, la nuit était tombée depuis longtemps. La ville s'endormait sous une légère couche de neige. Les flocons tombaient encore doucement, avec la grâce et la légèreté de danseuses en tutu. Quelques couples se promenaient, emmitouflés dans des pelisses chaudes. Un brasero brûlait dans un coin, des mendiants frottaient leurs mains gercées au-dessus des flammes.

La jeune femme resserra le col de son manteau et leur adressa un sourire. Puis elle hâta le pas en direction du port. Pourvu qu'il ne soit pas déjà parti, songea-t- elle. Angoissée à l'idée d'arriver trop tard, elle se mit à courir. Quand elle arriva sur le port, elle s'arrêta un instant, subjuguée par l'activité qui y régnait. Elle en profita pour reprendre son souffle et fouilla la foule du regard. L'air était encore plus froid au bord de l'eau.

La neige tombait toujours. Elle souffla dans ses mains pour les réchauffer...

...et soudain l'aperçut.

Au milieu de la foule de marins, de militaires, de femmes en pleurs, de montagnes de bagages et de caisses d'armes, elle reconnut sa haute silhouette bien découpée. Il lui tournait le dos. Elle détailla, les yeux pleins de larmes, ce large dos dont les muscles roulaient sous un manteau de l'armée.

Elle renifla, se composa un visage souriant et s'approcha de lui. Il ne la vit pas tout de suite. Il était occupé à donner des ordres. Les soldats lui obéissaient sans broncher. Son second, la cigarette à la bouche, la remarqua le premier. Il ôta son cigare, souleva sa casquette et la salua. Puis il envoya un coup de coude discret à son ami. La jeune femme devina son regard perplexe se tourner vers son second. Celui-ci la désigna de la tête. Alors, lentement, il fit volte-face.

Ses yeux bruns verts exprimaient un mélange de tristesse et de tendresse. Il avança d'un pas dans sa direction.

- J'ai reçu ta lettre, articula-t- elle d'une voix rauque.

L'émotion remontait à la surface avec la vitesse d'un ouragan. Elle lutta de toutes ses forces contre le torrent de larmes qui menaçaient de ses yeux embués. Elle devait être forte, lui livrer un dernier souvenir. Un beau souvenir.

- Avant que tu partes, je veux une dernière chose, continua la jeune femme d'une voix plus sûre. Un dernier souvenir de nous deux.

- Je t'écoute, répondit la voix chaude de son fiancé.

- J'aimerais que l'on danse. Une dernière fois. Que l'on danse comme le jour où nous nous sommes rencontrés. Tu t'en souviens ? C'était à peu près à la même époque, quelques jours avant Noël.

Le militaire acquiesça. Il se remémorait parfaitement ce jour-là. Il neigeait comme ce soir, un peu plus fort peut-être. Il l'a raccompagnait d'une fête, leurs familles venaient de faire connaissance. Ils avaient croisé un vieux mendiant jouant un Carol sur son violon abîmé. Mû par une impulsion soudaine, il lui avait saisi la main. Ils s'étaient ensuite engagés dans une valse virevoltante, soulevant des tourbillons de flocons.

Le jeune homme s'approcha de sa fiancée et lui saisit la main gauche qu'il porta à ses lèvres. Elle sentit son baiser brûlant se poser sur ses doigts glacés. De son bras libre il lui enserra délicatement la taille, la forçant à se rapprocher de lui. Il entama un pas de valse.

Les soldats, autour d'eux, avaient arrêté leurs occupations. L'un d'eux entonna un air de Noël. Puis, peu à peu, les voix des autres s'unirent à la sienne. La jeune femme ferma les yeux et posa sa tête contre la poitrine de son fiancé. A présent elle pouvait laisser ses larmes couler librement. Elle avait eu ce qu'elle souhaitait.

Sa dernière danse.

Là-haut, tout là-haut dans le ciel noir, la lune observait avec émotion la scène attendrissante qui se déroulait sous ses yeux : au milieu d'un cercle de soldats, un grand militaire brun embrassait une jolie blonde au béret rouge, valsant au rythme d'un chant de Noël. La neige tourbillonnait autour d'eux, laissant ses flocons aériens accompagner leur dernière danse.

Concours de Noël 2016Where stories live. Discover now