La griffe de la panthère noire

La fille au chat

C'était un bruit bas et latent. Puis les pleurs s'intensifièrent jusqu'à se rapprocher.

Lilith ouvrit les yeux, dans la noirceur de la nuit.

La chambre était aussi silencieuse qu'inquiétante. Elle s assit, tenta de discerner les sanglots qu'elle avait cru entendre, il lui semblait qu ils provenaient du garde-robe. Aucun autre bruit provenait des chambres voisines. Elle alluma la lampe, le coeur battant.  Son cellulaire signalait 2 appels manqués, numéro inconnu. Pas de message. Il était 4h.

Elle décida de mieux explorer la pièce. Une odeur de lavande et tisane envahit son nez quand elle ouvrit la porte du farde-robe. L'intérieur était encombré de vieux vêtements, tous soigneusement repassés.  Au fond, il y avait une planche de bois semi-clouée, elle tira la dessous et découvrit, dissimulé, un rouleau de papier. Elle sortit ce qui s'avéra être une affiche jaunie par le temps et représentant une jeune écolière dans son uniforme. Elle avait un regard étrange, hautain et triste à la fois. Un chat reposait sur ses cuisses. Mais un détail la frappa, on avait dessiné plusieurs bout de cordes brûlées à coté d'elle. 

Un vent glacial s infiltra dans la pièce. L'adolescente remit l'affiche à sa place,  les poils de ses orteils herissés comme des aiguilles, son coeur en mode accéleré.

Elle prit son cell, et appela Ken. 

- Allô? Fit la voix aiguë d'une jeune femme

- Pose le phone, merde! S'écria Ken, d'une voix lointaine

Il y eut une cacophonie de rires niais de plusieurs filles avant que la ligne coupe. Lilith disparut sous sa couette, lumière allumé, elle déposa sa tête sur son oreiller, songeuse.

Elle tenta de se changer les idées et repensa à la conversation qu'elle avait eu avec son père. Son insistance à ce qu'elle reste contrastait avec son refus initial à ce qu'elle visite le Japon. Jusque là, c'est lui-même qui l'avait tenu ignorante de ses racines. Elle avait la certitude qu'il avait une raison lugubre à son changement d'attitude. Aurait-il subi de la pression? Goda l'aurait-il menacé? Avait-il été acculé au mur? Lilith ne pouvait concevoir qu'il ait de son plein gré accepté de la jeter aux mains d'une bande de criminels.  Elle revit Ken et ses efforts pour la mettre en garde contre le boss, faire naître la peur en elle et provoquer l'éloignement, ne cachait-il pas aussi une motivation intéressée? 

Lorsque Sôko vint aérer la chambre, Lilith avait prit une grande décision. Il fallait se montrer plus maligne que Cléopâtre. 

- Cela fait longtemps que vous travaillez pour la famille? Demanda-t-elle en toute innocence, en sortant sous la couette 

- 50 ans, répondit la bonne d'un ton plein de fierté

- Vous avez donc connu Goda?

- Oui, fit la vieille femme prudemment. 

La bonne était trop fidèle à son patron pour se perdre en commérage. Lilith devrait opter pour meilleure approche.

- Vous avez donc connu aussi les propiétaires de cette maison?

La bonne hocha la téte imperceptiblement. 

- J'ai entendu dire que c'était une grande famille

- C'était une petite famille, corrigea Sôko, à contre-coeur. Je vais vous monter le thé, si vous souhaitez

- Merci, ce n'est pas nécessaire.

Lilith devait faire preuve de patience si elle voulait obtenir des informations sur les anciens habitants.

- C'est aujourd'hui mon jour de repos, commenta la vieille dame, le ton annodin. Je dois me rendre à la maison de Thé. Yoko-san voudrait venir avec moi?

- Est-ce que je peux?

- Feng-san l'a autorisé

Lilith vit danser des fleurs  ses yeux mille étoiles ♡♡♡♡♡♡. Elle bénit l'horrible oncle Feng pour sa subite et rare gentillesse. Finalement, elle allait avoir sa chance de quitter sa prison. C'était carrément inespéré. Si elle réussissait à mettre la main sur un cellulaire ...

Soko la regarda songeuse.

- Nous allons passer un après-midi entre femmes. Yoko-san a besoin de soigner son teint

Son teint? Son teint était phénoménale! Lilith lavait son visage tous les matins avec du savon marseillais, et mettait toujours de la crème solaire. Mais selon les critères de Mme Soko, elle avait la peau terne, des points noirs, et besoin d'hydratation. Lilith ne pouvait argumenter: malgré son âge la veille dame avait une peau sans imperfection. Comme toutes les japonaises de la maison, d'ailleurs. 

- Il faut vous faire jolie

La vieille dame s'habilla pour l'occasion avec une veste Givenchy et un sac à main de channel. Lilith écarquilla les yeux, se demandant si les domestiques recevaient un salaire présidentiel en échange de leur silence.

Une BMW les attendait. Un garde ouvrit la portière coté passager. Peu rassurée, l'adolescente y pénétra, et s'aperçut vite de la présence d'un homme dans la banquette arrière.

- Bonjour Akira-kun, salua la vieille dame en prenant place en avant

L'homme hocha la tête. Il était gras, robuste, tête chauve en forme d'œuf, il lui fit penser au dessin animé, sauf que Humpty Dompty ne portait pas  un pistolet à la ceinture. Lilith s'assit à coté de lui, peu rassurée. Finalement, trouver un téléphone ne serait pas une mince affaire.