La griffe de la panthère noire

Akira

- Que fais-tu ici?

Lilith se leva prestement, se sentant soudainement intimidée. Son coeur commença la course vers le podium, en mode accéleré.

- Je ne pouvais pas dormir, expliqua-t-elle, évitant croiser son regard

Le yakuza avait le regard le plus alerte et destabilisant qu'elle ait jamais vu. Elle eut l'impression qu'il pouvait fouiller en elle, desceller le vrai du faux. Elle doutait qu'il puisse exister un être humain au Japon capable de mentir au boss en plein face et espérer s'en sortir sans séquelles.

Elle remarqua alors la présence d'un autre homme dans le sanctuaire. Il se tenait derrière le yakuza, plus âgé et plus petit, tiré à quatre épingles, cravate papillon, grosses lunettes de Karl Lengfield en prime. Il portait une valise bourgogne de travail, qu'il tenait serré contre lui comme si elle contenait le trésor sacré des Incas. L'absence d'expression sur son visage ciré lui indiqua qu'il savait de son existence et cela lui était complétement indifférent. Était-il Goda? Elle ne se l'imaginait pas aussi ... insignifiant.

Le yakuza déposa sa veste sur le long divan et en ce faisant, elle aperçut qu'il y avait des traces de rouges à lèvres sur le col de sa chemise blanche. Elle sentit des piqûres d'abeilles sur son dos, puissantes, dérangeantes.

Le yakuza semblait réfléchir. Lilith se demanda bien ce qu'il pouvait faire à cette heure tardive dans cet endroit inucité. Rien de légal, lui dit sa petite voix.

- Laisse-nous, Yoko

Sa voix était profonde et pétillante comme le champagne.

Lilith n'était que trop heureuse d'obéir. Elle ramassa prestement son cahier de dessins, décida de ne pas ranger les livres, elle repasserait plus tard. Mais en passant près du boss celui-ci lui arracha le cahier des mains. Elle battit les paupières, interdite.

- Aucun ouvrage ne sort de cette pièce, fit-il, d'un ton devenu aussi hermétique que le robot

Lilith était contrariée. Elle le fixa un instant, il y avait une envoutante lueur charnelle au fond de ses prunelles sombres, puissante, ensorcelante. Elle voulut repliquer, mais décida que le silence serait sa meilleure arme. Cet homme était capable de la faire valser au bout de la pièce avec le seul pouvoir de la parole, c'était plus prudent de ne pas l'énerver. Elle s'en alla en jetant un dernier coup d'oeil au petit homme, qui semblait plus préoccupé par sa valise.

Mais à peine avait-elle atteint l'escalier qui conduisait à sa chambre que son cellulaire vibra. Elle lut : "attends-moi dans la cuisine". Le boss la textait! Lilith faillit manquer la marche et se retint à temps. Que lui voulait-il? La reprimender encore?

L'adolescente eut envie d'ignorer son message, et s'enfermer à clé dans sa chambre jusqu'au petit matin. Mais seulement la perspective de déclencher la fureur du yakuza mit bas son courage.

Elle se rendit donc à la cuisine et se servit un verre de soda ramune de fraise pour faire passer son angoisse. Les alcools étaient sous clé, impossible d'y accéder à moins de soudoyer le premier assistant chef, lequel, pour une raison inconnue, crachait feu et sang chaque fois qu'elle s'approchait des marmites. Elle soupira, de toute façon, tous les serviteurs l'avaient en grippe.

Lilith jeta un coup d'oeil vers la fenêtre. La lune était haute dans le ciel, éclairant drastiquement les arbres et fleurs à l'entour. Un peu plus loin, Akira fumait. Lilith ne pu résister à l'envie de sortir à sa rencontre.

Jusqu'à présent personne n'avait voulu lever le voile sur l'identité de son assaillant. Il devait être quelqu'un d'important pour que même Ken refuse d'en parler. Il fallait découvrir pourquoi cet homme l'avait brutalisé!

Le garde la vit venir, son expression se fit de plus en plus sombre comme le soleil qui se couche sur l'Afrique.

- Bonsoir Akira, salua-t-elle

Il hocha imperceptiblement la tête.

- Hm!

Pas très loquace monsieur.

- Je n'ai pas eu l'opportunité de discuter avec toi concernant ce qui s'est passé au spa, enchaîna-t-elle.

Il continua a la fixer comme si elle était une coquerelle. Visiblement, il n'allait pas coopérer.

- Je ne t'en veux pas, tu as fait ce que tu as pu, mentit Lilith. Mais je souhaiterai savoir pourquoi le Tigre s'en est pris à moi

Le regard d'Akira était dénoué d'émotion, outre l'ennui que sa présence semblait causer. Elle se demanda si il comprennait ce qu'elle disait. C'était tout bonnement un grand adolescent, peut-être 21 ans, dans un corps trop lourd pour lui, avec des neuronnes déficientes, conclut-elle.

- Hmm

Elle avait envie de le secouer. Elle respira un bon coup.

- Je ne connais pas cet homme, mais j'ai peut-être fait quelque chose qui l'a mis en rogne et je voudrai m'excuser

Bon, elle poussait fort, mais elle avait bien appris que la culture japonaise exigeait qu'on face des mea culpa à propulsion. Les domestiques qu'elle croisait dans la journée s'excusaient si ses repas étaient servis 2 minutes trop tard, si son linge n'était pas prêt à temps, ou si elles ne comprennaient pas ses questions.

Humpty Dompty ne la quittait pas des yeux, évitant de sciller.

- Hmm, hmm

Était-il ébloui par sa beauté naturelle au point de perdre la langue? Songea-t-elle, à bout de patience.

- Est-ce quelqu'un proche de la famille? Insista-t-elle, la voix à peine sereine

- Le boss t'attend

- Hein?

Il pointa du doigt la cuisine. Lilith tourna la tête, en effet le yakuza était entrain de se servir un verre de sake. Zut! Elle avait besoin de cette info.

- Pourrais-tu s'il-te-plait me donner son nom? Fit-elle en prennant sa voix la plus douce

- On ne fait pas attendre le boss, dit-il séchement

Elle grinça les dents et l'envoya mentalement brûler en enfer!

- Je croyais que tu allais m'aider pendant l'absence de Ken. Tu me deçois Akira, on ne sera jamais amis

Humpty Dompty ne sembla pas considérer que perdre son amitié était une douleur impossible à surmonter. Il ne bougea pas d'une ride.

Lilith tourna les talons, et pénétra dans la cuisine affronter celui qui faisait la pluie et le beau temps dans cette maison.