Leçon 1 : ne pas prendre le thé avec la veuve noire

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Les appartements de la Veuve se trouvaient au rez-chaussée, non loin de l'entrée principale. La porte en bois massif n'était pas gardée,ce qui permettait le va et viens incessant des domestiques. Des femmes âgées sortaient et rentraient, apportant et rapportant la literie, des pots de chambre, des kokedemas, des boites au contenu incertain, des lampes en papier, des bouteilles dont la forme et l'odeur intriguèrent Lilith. Une vraie colonie de fourmis qui s'activaient autour du nid de vénérée Reine. Lilith reconnu parmi ces femmes sans âge, ni couleur, ni gaieté, Gege qui revenait avec un plateau de porcelaine, la femme lui accorda un regard aussi accueillant que l'impératrice Joséphine en apprenant que Napoléon la divorçait.

Ren la précéda dans la pièce cloisonnée en papier, aux murs en bois de pin et de cyprès. Cela ressemblait à une salle de séjour, avec des poutres et le plafond très haut permettant de contempler l'infini. Des nombreux kokedemas, sphères de terre entourées de mousse et dans laquelle poussent les racines d'une plante, étaient déposés au coin de la pièce. Le panneau coulissant en washi – du papier de riz à la finesse translucide - ménageait ainsi l'intimité entre les deux pièces tout en laissant passer la lumière. A travers le panneau laissé ouvert, Lilith aperçu une couche par terre, le seul mobilier dédié au sommeil. Ce qui attira davantage son attention ce fut un énorme butsudan, un armoire richement décoré, dans lequel trônait un Bouddha en or avec la photo d'Atsuma bien en évidence. Des bâtons d'encens étaient allumés pour honorer sa mémoire. Lilith se demanda si la veuve était au courant du commandement férocement imposé par l'Oyabun sur les relations adultères. 

Au centre de la pièce, la veuve noire se trouvait assise sur un cousin moelleux, enveloppée dans un long kimono sombre, mince au point d'être maigre, ses traits figés par le temps. Ses yeux translucides transpercèrent Lilith comme deux katamas affilées. Elle comprit pourquoi tout le monde tenait cette dame en respect, Lilith n'était pas certaine que le pot à thé massif deposé sur la table base ne servait pas d'arme de défense. La vieille femme tenait, entre ses longs doigts maigres et décharnés, le but d'une cigare de cannabis. L'odeur d'encens qui flottait dans l'air ne pouvait pas couvrir totalement les plaisirs coquins de la vieille dame.

Les jumeaux étaient aussi présents, arborant une mine de parfait ennui, leur crâne haut et bombé reflétait la lumière du jour qui filtrait à travers la grande fenêtre. Mais leur intérêt ressuscita  soudainement à la vue de leur jeune parente. 

Lilith se tourna vers Ren. Ce dernier salua avec vénération son aïeule;

- Que le matin qui commence soit plein de bonnes nouvelles et grande santé, dit-il en s'inclinant

Lilith s'inclina aussi devant l'octogénaire.

La veille femme prit une éternité à parler, sa voix était d'un ton bas, et aussi rauque qu'une caverne.

-  Celle qui se dit la fille du clan Ikeda est à ma porte

Lilith ne sut quoi répondre devant cette évidente constatation, alors elle se tu. Elle se sentait examinée par les gens présents, mais contrairement  à première présentation au Oyabun, Lilith sentait que cette femme ne lui portait pas d'affection, sans que cela soit toute à fait l'aversion, peut-être un peu de curiosité. 

Les minutes qui allaient suivre aller sceller son destin.

Elle examina à son tour sa parente. Il y avait une certaine finesse dans la façon qu'elle se tenait, qu'elle avait coiffé sa chevelure blanchie par les années, la manière qu'elle penchait la tête de coté, son cou long et ivoirien. Bien qu'elle faisait peu de gestes et que sa pose était quasiment immobile, la vielle dame dégageait une aura princière. Lilith vint à la conclusion que cette femme avait surement vécu toute sa vie dans l'opulence.

La griffe de la panthère noireWhere stories live. Discover now