Partie 8

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Les semaines avaient passé et la chaleur de l'été laissait doucement place aux premiers froids de l'automne. L'armée de Saillans campait toujours aux pieds des murailles d'Amarylis. Malgré de nombreux assauts, la ville n'avait toujours pas été prise. Le Roi Acôme avait donc décidé de cesser les attaques, il espérait prendre la ville en l'affamant. Une stratégie passive moins coûteuse en hommes mais qui réclamait une grande patience dont le Prince Eliam de Saillans n'était pas pourvu.

Assis sur son lit de camp dans la solitude de sa tente, il ruminait l'échec total de leur assaut sur Amarylis. Galahaad et lui-même savaient que leur victoire dépendrait des premières heures de l'attaque de Saillans sur Elenith. Ils avaient tous deux calculé précisément le temps qu'il fallait à l'armée pour parvenir jusqu'à Amarylis et avait donné rendez-vous à la flotte en fonction de leur estimation. Cependant l'assaut conjoint des soldats et des marins n'avait jamais eu lieu. Les cinq navires de Saillans envoyés en ravitaillement à Azov n'étaient parvenus que le lendemain de l'attaque, fortement endommagés. Ils avaient accosté dans un port naturel à quelques kilomètres d'Amarylis. Les navires avaient été déchargés, aussitôt les charpentiers s'étaient attelés aux réparations. Le ravitaillement acheminé jusqu'au camp de Saillans, les capitaines du Dysmeal, de l'Hysope, du Seiveilan, de l'Acanthe et du Mandragore s'étaient entretenus avec le Roi Acôme et ses fils. L'atmosphère de la réunion était pesante et les épaules des cinq capitaines semblaient écrasées par le poids de l'échec. Après avoir été retardé à Azov, ils avaient essuyé une forte tempête qui avait endommagé le Dysmeal et le Seiveilan, et accentué un peu plus leur retard. A quelques heures d'Amarilys, ils étaient tombés sur une flottille d'Elenith partie sécuriser la côte. Quand ils étaient enfin arrivés à destination, à l'aube, le lendemain du rendez-vous, le principal port commercial avait eu le temps de s'armer, et ils avaient été accueillis à coup de canons. Ils avaient alors battu en retraite, décidant de ne pas perdre le ravitaillement dans une bataille à l'issue plus qu'incertaine. Les marins avaient repris la mer une dizaine de jours plus tard, une fois les navires remis en état. Le Roi voulait qu'ils retournent sécuriser les côtes de Saillans. Vidée de ses forces militaires, la flotte devait être un rempart en cas d'attaque. Eliam avait demandé à son père de lui laisser reprendre la mer, mais de nouveau le souverain avait été catégoriquement négatif.

Le jour s'éteignait sur la vaste plaine quand Eliam sortit précipitamment de sa tente. L'inaction le rendait fou, deux mois de siège ponctués d'attaques inutiles et meurtrières, il était à bout de nerf. Son regard se figea sur les murailles mordorées par le crépuscule, elles le narguaient de toute leur hauteur. Il monta brusquement sur son cheval. Il allait s'élancer sans réel but quand son frère saisit les brides du harnais de sa monture.

- Où vas-tu ?

- Nulle part, répondit Eliam, agacé.

- Père veut nous voir.

- Je ne vois rien de pressant dans l'instant.

- Liam ! Cesse de faire l'enfant, il nous demande tous deux et sur le champ.

Le jeune homme descendit de cheval et noua ses brides à un piquet. Il se releva et lança un regard agacé à son frère.

- Je te suis.

Les deux princes prirent le chemin de la tente du Roi. Galahaad avait jeté une fine pelisse sur ses épaules, accentuant sa carrure déjà massive, typique des hommes du Nord. Eliam dont le sang bouillait, ne portait qu'une frêle chemise de coton blanc sur un pantalon et des bottes de cuir noir. Leur père les attendait, soucieux, penché sur sa table de travail. Quand il vit Eliam, il remarqua immédiatement sa mine renfrognée, mais ne releva pas. Les semaines passaient et la colère du jeune prince ne cessait de croître. Mais même si son fils cadet n'était pas appelé à régner, Acôme de Saillans était bien décidé à lui enseigner rigueur, patience et obéissance.

- Mes fils, prenez place, dit-il en leur désignant deux sièges.

Eliam s'affala sur l'un deux avec la nonchalance qui lui était propre, son père grinça des dents mais reteint la remarque acerbe qui montait du fond de sa gorge. Il n'avait pas le temps pour une nouvelle confrontation.

- Dans quelques semaines l'hiver sera là et nous ne savons pas combien de temps Amarylis pourra tenir, il nous faut dès aujourd'hui organiser le ravitaillement de l'armée.

- Père, nous n'avions pas prévu de passer l'hiver à combattre, les récoltes ont été faibles, nous n'aurons pas de quoi nourrir et l'armée et le peuple, dit Galahaad, de la voix calme et posée qui le caractérisait.

Mais Eliam savait pour en avoir longuement discuté avec lui que ce n'était qu'une façade. Le Prince aîné était particulièrement inquiet de la tournure de la guerre. Ses principales craintes se réalisaient, les semaines passant, il voyait de moins en moins une issue favorable pour Saillans.

- Il le faudra, c'est pour cela que nous devons dès aujourd'hui réfléchir à la question.

- Demandons de nouveau de l'aide à l'Empereur ! dit Eliam.

Les deux hommes se retournèrent brusquement vers le jeune prince, le Roi figé dans un rictus de colère, Galahaad dans un soupir. Désormais, l'altercation était inévitable.

- Il nous a bien promis son soutien, continua le jeune Prince sur un ton volontairement provocateur.

- Il suffit Eliam ! hurla le Roi.

- Non, vous savez qu'il nous a trahis, la flotte est arrivée trop tard grâce à lui, nous avons perdu notre force de frappe et notre effet de surprise, depuis nous creusons notre tombe dans ce bourbier ! Dis lui Galahaad, puisque tu penses la même chose que moi, s'écria Eliam.

Le Prince aîné ne répondit pas mais hocha la tête pour montrer à son père son assentiment. Le Roi fusilla ses deux fils du regard.

- Si seulement vous m'aviez laissé reprendre le commandement du Mandragore, murmura Eliam.

- Comment???...Es-tu en train de contester mes ordres ?? Eliam de Saillans, saches que tu n'es pas prêt de retourner sur ton rafiot, s'exclama le Roi, hors de lui.

- Vous comptez faire de moi l'un de vos fantassins ??? Susurra le jeune Prince au comble de l'insolence.

La main de son père s'écrasa violemment sur son visage.

- Je compte faire de toi un Prince...Si cela est encore possible. La vie que tu mènes n'est pas digne de l'un de mes fils, tu me fais honte, tu te conduis comme un soudard, sous prétexte que tu ruines la flotte Elenith. Tes frasques entachent la famille, ta mère, ton frère et moi.

Eliam accusa le coup, la gifle glissa sur lui comme de l'eau mais pas les mots. Il n'était pas naïf, il savait que son père n'adhérait pas à son mode de vie, qu'il était l'antonyme du fils que le Roi désirait. Mais il avait toujours pensé qu'il était fier des exploits du Mandragore, que ceux-ci compensaient la déception d'avoir un fils irresponsable, impulsif, épris de liberté.

- Bien Père, répondit-il d'une voix extrêmement calme, puis il tourna les talons et quitta la tente, ravalant rage et peine.

Il se dirigea à grandes enjambées jusqu'à sa monture et enfourcha son cheval avant de galoper à brides abattues pour quitter le camp.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now