Partie 19

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Au matin du troisième jour de marche, Eliam sut qu'ils seraient le soir même à Estran. En plaine, les paysages ne s'étaient pas encore recouverts de neige. Les reliefs escarpés firent peu à peu place à de sublimes collines verdoyantes. Un camaïeu émeraude qui s'étendait à perte de vue et donnait une impression de vitalité malgré le ciel bas et gris de l'hiver. Garance plus habituée aux plaines quasi désertiques d'Elenith ou à ses rivages érodés par les vents marins s'abreuvait des paysages luxuriants, sauvages et indomptables de Saillans.

Pendant la journée, ils croisèrent plus de paysans et de marchands que durant tout leur voyage. Eliam demanda à Garance ne se cacher sous sa capuche. Il ne voulait pas attirer l'attention. En fin d'après-midi, ils parvinrent aux abords de la capitale. La jeune femme releva la tête face aux murailles de la ville. Elle eut le souffle coupé. La cité semblait s'enrouler autour de la montagne. De lourds murs défensifs avaient été érigés à tous les niveaux de la citadelle. Estran était massive, elle semblait imprenable. A première vue, tout avait été pensé pour la praticité, l'autonomie et la défense de la ville. Aucune fioriture, le gris de la pierre rendait la cité solennelle, épurée et rassurante. Cependant, quand ils arrivèrent au pont-levis baissé, surplombant les douves, Garance sentit les battements de son coeur s'accélérer. Qu'allait-il lui arriver derrière ces murs ? Elle garda la tête baissée, dissimulée sous la lourde capuche de laine. Les trois gardes de la porte étaient à l'image des soldats qu'elle avait vus dans le camp : immenses, blonds, farouches. Ils jetèrent un regard mauvais aux deux voyageurs, la main sur l'épée. Eliam glissa la jeune femme derrière lui et rabattit d'un geste son propre capuchon. L'expression des gardes passèrent immédiatement de la méfiance à la surprise. Chacun fit plier son genou gauche, qu'ils posèrent au sol dans un même mouvement.

- Mon prince, murmura celui que Garance identifia comme leur capitaine par les épaulettes d'argent qui ornaient sa tunique émeraude.

- Relevez-vous, répondit Eliam d'une voix amusée devant un tel cérémonial, car s'il n'avait pas passé plusieurs semaines dans les murs d'Estran avant la guerre, jamais ses hommes ne l'auraient reconnu.

- Bienvenue chez vous, mon Prince, venez-vous de Marmades ?

- Oui.

- La traversée n'a pas du être une partie de plaisir.

- En effet.

- Comment se portent nos compagnons, mon Prince ?

- Ils tiennent bon, répondit Eliam en donnant une tape amicale sur l'épaule de l'homme.

- Nous allons vous accompagner jusqu'au château, dit le Capitaine dans un sourire, notre Reine sera bien heureuse de vous voir.

- Cela n'est pas nécessaire, je préfère traverser la ville en toute discrétion, j'y serai plus vite.

- Bien mon prince, répondit l'homme en laissant passer les voyageurs.

Les trois gardes jetèrent un coup d'oeil intrigué à la silhouette qui ne quittait pas Eliam de Saillans, entièrement cachée sous une fourrure et une cape de laine. Eliam et Garance mirent près d'une heure à se frayer un chemin dans la foule et l'agitation de la ville. Cependant, ils ne croisaient que femmes, enfants ou vieillards. Les rares hommes qu'ils rencontrèrent furent ceux de la garde d'Estran, reconnaissables à leurs tuniques émeraude. Chaque homme valide était désormais sur le front. Sauf lui, songea Eliam avec amertume, et combien de ses compatriotes reviendraient vivants tandis qu'il passerait l'hiver au chaud ? En pensant au Roi, une bouffée de colère submergea le jeune prince. Si son frère devait mourir sur le champ de bataille, jamais il ne pardonnerait à son père de lui avoir fait quitter Elenith. A cet instant, il se retourna et son regard se figea sur la frêle silhouette de Garance. Elle était la seule et unique raison qui l'empêcherait de retourner en Elenith sur le champ. La jeune femme disparaissait sous le capuchon noir, on ne devinait que quelques mèches brunes échappées de la pèlerine.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now