Partie 26

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- Que s'est-il passé ? demanda Eliam en faisant irruption dans le bureau de son père.

Le Roi lui tournait le dos, pensif, face à l'une des fenêtres qui donnait sur la cité. La journée s'achevait, morose. Saillans pouvait désormais pleurer ses morts, fêter le retour des vivants. Mais dès demain, le peuple voudrait savoir si le tribut de cette guerre valait les vies perdues. Cette question brûlait les lèvres d'Eliam. Cependant, il ne pouvait se permettre d'attaquer son père de front. S'il voulait des réponses il lui faudrait faire preuve de diplomatie. Le Roi resta muet, figé face à la fenêtre. Eliam s'approcha de son père. Il semblait épuisé, usé. Sa chevelure avait entièrement blanchi ces derniers mois. Mais il dégageait toujours autant de charisme.

- Père, Galahaad perdra sûrement sa jambe et peut-être sa vie. Que s'est-il passé ?

Acôme de Saillans pris enfin la peine de regarder son cadet. Eliam se figea quand il vit le regard éteint de son père. Il s'éclaircit la voix :

- Galahaad a été blessé lors de l'une des dernières batailles... Avant le début des pourparlers. La blessure semblait être guérie, quelques jours avant le départ, il a été pris de fortes fièvres, je suppose qu'il était trop préoccupé par les négociations pour s'inquiéter de l'infection, j'ai voulu retarder le départ pour le soigner en Elenith, il a refusé.

Eliam resta muet de stupeur.

- Il a refusé... Pourquoi ne l'avez-vous obligé à se soigner ? Le trajet de retour l'a achevé, dit Eliam en tentant de retenir sa fureur.

- Tu n'as pas à juger mes décisions et mes actes, Fils, répondit le Roi en fusillant Eliam du regard.

- Votre fils aîné, votre héritier risque la mort, parce que vous nous avez lancés dans une guerre perdue d'avance.

- Tais-toi ! siffla le Roi entre les dents.

- Vous m'avez renvoyé à Estran, vous ne m'avez pas laissé le protéger.

- Je t'ai dit de te taire ! s'écria le Roi.

- Vous l'avez transporté alors qu'il agonisait. Vous lui avez donné le coup de grâce, hurla Eliam à la face de son père, tremblant de rage.

Acôme de Saillans envoya son poing dans le visage de son fils cadet pour le faire taire. Le jeune homme encaissa le coup et l'affront avec un sourire narquois.

- Je t'avais dis de te taire, répondit le Roi, blême, avant de lui tourner de nouveau le dos.

- J'espère que le jeu en valait la chandelle et je vous souhaite que Galahaad survive.

- Je le souhaite de toute mon âme, car mon fils cadet serait bien à la peine de gouverner ce pays.

- Je ne vous le fais pas dire, sachez que je donnerais tout ce que j'ai pour prendre la place de Galahaad, dans ce foutu lit à souffrir le martyr, parce que c'est un homme bon, le meilleur des frères et un grand roi en devenir.

Sur ces mots, Eliam tourna les talons et quitta la pièce d'un pas furieux pour se rendre au chevet de son frère. Il entra dans la pièce et l'odeur du cataplasme de plante odorante le saisit à la gorge. La chambre de Galahaad était de nouveau plongée dans la pénombre, seules quelques chandelles éclairaient le visage livide et fiévreux du Prince aîné. La Reine Adrissa, dévastée, épongeait le front du jeune homme. Eliam se laissa tomber sur un fauteuil. Il frotta sa joue qui enflait à vue d'œil. Son père avait encore un sacré crochet.

Galahaad laissa échapper un gémissement de douleur. Eliam saisit la main tremblante de son frère. Depuis qu'il gisait dans ce lit, un millier de pensées tourmentaient Eliam. S'il avait des reproches à faire au Roi, il pouvait tout autant se blâmer. Le destin le punissait-il d'être tombé amoureux de la pire ennemie de Saillans, le punissait-il de connaître le bonheur tandis que son frère guerroyait, le punissait-il pour son énième irresponsabilité ? La culpabilité et le doute résonnaient désormais au creux de son âme.

- GAL !!! NON !!!

Le hurlement qui jaillit de sa gorge réveilla immédiatement Eliam. Mais il lui fallut plusieurs minutes pour sortir du cauchemar où s'entremêlaient le cadavre de son frère, le corps nu de Garance, tous deux prisonniers de l'empereur. Il restait impuissant, maintenu par un contingent de Pallassines. Il se débattait de toutes ses forces, assenant des coups qui frappaient le vide. Il suffoquait dans une torpeur étouffante. Il hurlait à Galahaad de se réveiller, ne voulant croire à sa fin. Il rugissait contre l'empereur lui ordonnant de lâcher sa bien-aimée, tandis que Garance subissait ses assauts, les dents serrées, les joues abreuvées de larmes. Il regardait, désarmé, le tourment des deux êtres qu'il aimait, lui lacérant l'âme.

Puis, peu à peu, le camaïeu écarlate du songe fit place aux lueurs de l'aube. Eliam se redressa sur l'immense lit à baldaquin de sa chambre. Sa peau dévêtue brillait d'une fine transpiration. Ses cheveux bruns étaient trempés de sueur. Il fit glisser sa paume sur le matelas. Mais ne trouva que le froid. L'armée de Saillans était rentrée depuis une semaine, et les deux amants n'avaient fait que se croiser.

Eliam sauta de son lit et se rendit à sa table de toilette. Il immergea son visage dans la bassine d'eau. Les deux mains posées sur les rebords de cuivre, ruisselant, il scruta son reflet dans le miroir. De lourdes cernes marquaient ses yeux, une barbe brune hirsute mangeait son visage. Ces derniers jours, les quelques heures de sommeil qu'il s'était octroyées, se peuplaient de cauchemars de plus en plus sombres. L'angoisse de perdre un frère aimé, l'incertitude de son devenir avec Garance, l'affrontement contre son père, tout cela le minait. Il épongea l'eau de son visage avec un linge et enfila un pantalon de cuir noir, une chemise de lin blanc et ses bottes. Puis il sortit de sa chambre en trombe. Le château était désert. Il se dirigea vers les appartements de Galahaad, non sans jeter un coup d'oeil à la porte de Garance. Celle-ci s'entrouvrit et il vit enfin le visage de la princesse. Elle lui adressa un triste sourire, elle ne portait qu'une simple chemise de nuit. Eliam se précipita vers la jeune femme, saisit sa taille puis ses lèvres avant de claquer la porte derrière lui. Il n'avait pas touché Garance depuis quelques jours et il avait l'impression d'avoir été privé d'elle depuis des semaines.

Après de longues minutes d'oubli, la jeune femme se détacha de l'étreinte d'Eliam. Elle fit glisser ses mains le long du visage de l'homme qu'elle aimait.

- Tu es épuisé mon amour.

Eliam ne prit pas la peine de répondre.

- Comment va ton frère ?

- Il ne reprend conscience que pour souffrir.

- Je suis désolée.

- Cela n'aurait pas du arriver. Cela ne serait pas arrivé si j'étais resté à ses côtés.

- Ce n'est pas ta faute Eliam.

Le jeune prince ne répondit pas. La culpabilité le rongeait, sa rage envers son père ne cessait de croître.

- Je retourne auprès de mon frère, dit-il en déposant un baiser sur les lèvres de la princesse.

Eliam quitta la pièce avant que le château ne s'éveille. Quand il entra dans la chambre du Prince aîné, il eut le plaisir de voir son frère éveillé. La reine Adrissa l'abreuvait, le sourire aux lèvres.

- Comment vas-tu mon frère ? demanda-t-il en s'approchant du lit.

- Mieux, la fièvre est tombée.

Eliam scruta le visage épuisé et amaigri du Prince et vit en effet que son regard avait repris de la clarté. Le sourire fatigué de son frère finit de le convaincre. Il laissa échapper un soupir de soulagement.

- Maintenant que je suis presque sûr de survivre, veux-tu aller chercher notre père et la Princesse d'Elenith ? demanda Galahaad.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant