Partie 14

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Après deux jours de marche, le paysage semi-désertique fit place à des collines parées de couleurs automnales, prémices des sommets qu'ils auraient à gravir. Lors des quelques pauses que les deux compagnons de voyages s'accordèrent, Garance ne put s'empêcher de remarquer le regard vaguement inquiet qu'Eliam lançait sur les montagnes enneigées. Ils chevauchaient du lever du jour jusqu'au crépuscule. Garance s'était habituée au contact permanent du guerrier. Elle qui n'avait jamais connu que l'éternel été d'Amarylis se sentait même rassurée par cette intimité devant la morosité sinistre des montagnes à l'approche de l'hiver. Comme prévu, la chaleur faisait place à une fraîcheur de plus en plus présente à l'approche des sommets. Les nuits sans feu devenaient glaciales.

Eliam quant à lui et malgré ses inquiétudes bénissait les températures rafraîchissantes. Elles lui permettaient de tempérer le supplice auquel le mettait le contact quotidien de la jeune femme. Ils parlaient peu, s'accommodant de la situation. Eliam savait toute la difficulté de franchir le col de Narmade. Ce qui n'était qu'une voie au coeur de l'été, devenait un sentier impraticable durant l'hiver.

Garance ressentait son inquiétude. Cela faisait maintenant plus d'un mois que leur destin s'était croisé. Elle qui avait passé la plus grande partie de sa vie dans une solitude extrême étudiait avec attention son geôlier. Elle parvenait maintenant à détailler ses émotions à la façon dont il soupirait, dont sa mâchoire se crispait ou même selon le ton qu'il employait pour lui parler. Elle avait noté un grand nombre de détails depuis leur rencontre mais n'avait commencé à les analyser que depuis quelques jours : depuis qu'elle avait abandonné tout espoir d'évasion.

Malgré elle, elle remarquait que le tempérament du guerrier était bien différent que ce qu'elle avait pensé au premier abord. Au fur et à mesure qu'elle apprenait à le connaître elle devait écarter les préjugés et la légende pour découvrir une complexité à laquelle elle n'était pas préparée. Eliam de Saillans avait la carrure et la puissance d'un guerrier, mais il était doté d'une agilité que l'on n'attendait pas pour un rustre des montagnes. Il était attentif à la nature, en parfaite harmonie avec son élément, à son écoute et pourtant Garance s'était vite rendu compte à quelques rares réflexions qu'il avait une solide instruction et une grande vivacité d'esprit. Et puis il y avait une sensibilité qu'il cachait désespérément derrière son sourire narquois, et ses réflexions grivoises. Cette étrange fragilité, Garance l'avait remarquée lorsqu'Eliam était en contact avec son père. Elle ne parvenait pas à en identifier la cause, mais elle avait le sentiment que le Roi était la seule personne qui pourrait briser le jeune homme. Enfin, comble de son ambivalence, il était Prince sans en avoir l'apparence et pourtant il dégageait un charisme, une aura que bien des Rois lui auraient enviée. Malgré son image de soudard, elle était désormais certaine qu'il était un grand meneur d'hommes, d'où les victoires du "Mandragore". A cet instant, elle pensa à tous les méfaits qu'on lui attribuait en Elenith et elle était de plus en plus perplexe. Quoi qu'il en soit, et malgré l'inconfort de la situation, son geôlier faisait preuve d'une certaine délicatesse envers la jeune Princesse. Elle ne l'aurait jamais avoué mais cette attention l'avait touchée.

Extirpant Garance de ses pensées, Eliam tira sur les rênes pour arrêter leur monture. Se faisant, il frôla les mains de Garance, accrochées dans la crinière noire de l'étalon. Cet infime contact lui embrasa immédiatement les reins, il maudit sa maladresse et s'empressa de sauter de cheval. Garance suivit le mouvement. Chacun avait pris ses habitudes et tandis qu'Eliam sortait leur frugal repas et remplissait les gourdes d'eau, Garance accrocha la longe de l'étalon à un arbre et le dessella. Elle accomplissait ces gestes avec habilité désormais. En jetant un coup d'oeil au Prince elle vit que sa mâchoire se crispait involontairement comme s'il souffrait. Alors quand ils furent assis et que tous deux grignotaient des tranches de boeuf séchées et du pain légèrement rassis, elle lui demanda :

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now