Partie 28

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Eliam parvint dans la cour du château sur ses deux jambes, mais il avait la sensation que son âme s'était délitée en cours de route. Son cœur décomposé gisait dans un étau de glace. Il releva les yeux du sol, à la recherche du ciel, à la recherche d'une absolution. Mais son regard s'arrêta sur l'escorte qui venait d'entrer. Son corps tout entier se figea, tandis que l'Ambassadeur de l'Empereur descendait de cheval cerné par trois Pallassines. Il n'aurait cru que la rage qui l'habitait pouvait encore augmenter. Mais elle se décupla jusqu'à faire bouillir son sang. Il avait face à lui le représentant d'un tyran, venu tout droit de l'Empire constater que Saillans était à genou après l'avoir trahi sans vergogne. Et l'homme en question se tenait au cœur de la cité des Rois de Saillans, méprisant et présomptueux dans sa longue fourrure aux couleurs argent de l'Empire. Les Pallassines, gardes personnels de l'Empereur Dragan Lancéart, assassins à sa solde, étaient comme à l'accoutumée entièrement vêtus de noir, de leurs cuirasses aux cheichs qui cachaient la majeure partie de leurs visages en passant par leurs destriers. N'avait-il jamais rêvé de décoller la tête des épaules de l'un des leurs ? Il en avait désormais trois sous la main. Le Prince canalisa alors toute sa rancœur, toute sa haine, figea ses lèvres dans un sourire meurtrier et avança d'un pas calme jusqu'à l'escorte impériale. L'ambassadeur remarqua alors le jeune homme. Quand il vit le regard du Prince, il perdit quelque peu de sa superbe.

- Eliam de Saillans ! s'écria-t-il dans un sourire forcé.

- Excellence ! répondit le jeune homme sur le même ton tandis qu'une lueur assassine allumait son regard devenu obsidienne.

Il accéléra encore le pas et avant que l'ambassadeur ou ses hommes n'aient eu le temps de réagir, il décocha un formidable crochet dans le menton de l'ambassadeur. Avant que celui-ci n'aille mordre la poussière, il lui arracha la dague ouvragée attachée à sa ceinture et la lança dans le torse d'un des Pallassines qui s'était jeté sur lui, perforant son armure de cuir. Il saisit la longue épée que l'homme lâcha dans sa chute en évitant la décapitation que lui promettait un autre soldat, puis lui coupa la jambe avec l'arme récupérée. L'homme poussa un hurlement de douleur en s'effondrant dans une mare de sang. Le troisième guerrier le chargea, il attendit le dernier moment avant de faire un pas de côté et de trancher le garrot de sa monture. La bête poussa un hennissement de terreur puis s'effondra, mais le Pallassine sauta à terre sans être écrasé par sa monture. Il s'avança alors vers Eliam, lame au poing, regard meurtrier. Le jeune prince para le premier coup d'une puissance colossale. L'homme faisait la même taille qu'Eliam mais semblait peser vingt kilos de plus. Le jeune homme fit rapidement le ratio de ses chances. Il n'avait ni l'avantage de la force, ni l'effet de surprise, il ne lui restait que son agilité. Il ne para plus les coups de son adversaire, au risque d'épuiser ses forces, mais il les évita avec une vitesse phénoménale. Rapidement, le Pallassine montra des premiers signes de fatigue, ne sachant plus où donner de la tête tant le Prince anticipait ses coups.

Combien de temps dura le combat ? Eliam l'ignorait, galvanisé par la rage et l'adrénaline, il attendit patiemment en esquivant les coups puis une opportunité se présenta. Son adversaire commit l'erreur de baisser une seule fois sa garde. Eliam s'engouffra dans la brèche et le décapita d'un geste souple et précis, sans aucune hésitation. Il regarda un instant les derniers soubresauts du corps sans tête, avant de saisir un mouvement sur sa droite. Dans un geste d'une rapidité déconcertante, il mit son épée souillée de sang sous la gorge de l'Ambassadeur. L'homme, à terre, se figea, suppliant du regard le jeune prince. Un millier de pensées traversèrent l'esprit d'Eliam, mais en aucun cas la clémence. Il s'apprêtait à donner le coup de grâce quand un hurlement retentit :

- Eliam !! Non !!

Le jeune homme sortit alors de sa démence meurtrière. Sans un regard pour son prisonnier, il leva les yeux vers le château. Galahaad, livide, se tenait à la fenêtre de sa chambre. Il venait d'empêcher que son frère ne commette un geste irréparable. Eliam gisait au milieu de cadavres, le visage et le torse couverts de sang, sa chemise blanche devenue pourpre, l'épée Pallassine à la main. Les regards des deux hommes se croisèrent et pour la première fois Galahaad eut peur de ce qu'il voyait dans celui de son jeune frère. Il y avait une somme de rage et de douleur que personne n'aurait dû supporter. L'insouciance, l'arrogance et le cynisme de ses prunelles azur avaient fait place à un désespoir innommable.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now