Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de Cendre

Partie 24

Garance était assise face à la cheminée de sa chambre, les yeux perdus dans les flammes. Elle tentait désespérément d'assimiler ce qu'elle venait d'apprendre sans parvenir à réaliser que ce à quoi elle s'était tant préparée soit arrivé. Mon père, le Roi est mort, songea-t-elle. Elle avait tant imaginé cette situation à Amarylis, face à Cyrius, que plongée dans l'hiver de Saillans, l'idée ne parvenait pas à faire son chemin. Elle resta de longues heures immobile, prostrée, l'esprit vide. Puis, une douleur fulgurante lui traversa l'abdomen si soudainement qu'elle tomba à genoux à quelques centimètres des braises du feu. Un poids énorme s'abattit sur ses poumons, elle avait la sensation d'étouffer. Elle saisit sa gorge de ses deux mains, essayant désespérément de reprendre sa respiration. Elle n'entendit pas que l'on frappait à la porte, puis que l'on entrait.

- Nom de dieu, s'écria Eliam en s'élançant aux pieds de la jeune femme.

Il plaqua son dos contre son propre torse, la redressant contre lui. Un râle rauque s'échappait des lèvres de la jeune femme. Il posa ses mains sur les siennes, tentant de desserrer leur étreinte.

- Garance, calme toi...Respire, murmura-t-il à son oreille.

Mais la jeune femme continuait de suffoquer, ses doigts crochés dans sa gorge. Il fit alors descendre ses mains sur sa poitrine et tenta de dénouer le corsage de la Princesse. Ses doigts étaient si fébriles que les lacets résistèrent. Il saisit alors le tissu et le fit craquer d'un coup sec, donnant un peu d'air à la jeune femme.

- Garance, je suis là, tu n'es pas seule.

Les paroles du Prince parvinrent à la jeune femme comme venant de très loin. L'oxygène ne parvenait dans ses poumons que par un mince filet, son regard était obscurcit par un épais brouillard, seul le contact d'Eliam, la force qu'il dégageait lui apparaissait nettement.

Elle tentait de s'accrocher à cette sensation pour reprendre le contrôle de la crise d'angoisse qui l'avait submergée. Mais elle n'y parvenait pas. Son destin était en route. Elle savait que l'heure des choix était arrivée. Son père était mort, le Roi était mort et désormais sa vie ne lui appartenait plus, lui avait-elle déjà appartenu ? Eliam avait posé l'une de ses mains sur la gorge de la jeune femme. Il sentit son pouls se calmer peu à peu, ses muscles se détendre jusqu'à ce qu'elle s'effondre dans ses bras.

- Tout ira bien maintenant, je suis avec toi, chuchota-t-il en la glissant au creux de ses bras.

Il se releva en douceur puis la posa sur le lit recouvert de brocart. Il s'assit à ses côtés et laissa ses doigts glisser sur le beau visage hagard de la jeune femme. Il l'aida à se dévêtir de sa robe en charpie. Puis simplement vêtue de son sous-vêtement, il l'allongea sous les couvertures. Eliam approcha un fauteuil près du lit et se laissa tomber dedans avec une nonchalance qu'il était loin de ressentir.

La nuit avait depuis longtemps envahi le ciel d'Estran, seul le feu brûlant dans l'âtre éclairait la vaste chambre. Si le silence régnait, aucun des deux amants ne dormait. Garance se débattait avec une culpabilité immense. Elle avait délibérément abandonné son père et sa patrie durant de longs mois. Elle s'était laissé emporter par la passion qu'elle éprouvait pour Eliam jusqu'à renier ce qu'elle était. Ils étaient parvenus à se créer une parenthèse de bonheur, une parenthèse idéaliste, irréaliste. Eliam était apparu dans sa vie, déclenchant une tornade de sentiments qui lui avait fait perdre le sens des réalités. Elle venait de remettre les pieds sur terre et la chute était particulièrement rude. Elle avait l'intime conviction que les rêves qu'ils avaient faits ne resteraient que chimères. Même si elle n'en voulait pas, les responsabilités et les devoirs qui lui incombaient étaient inaliénables.