XIX

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  La cornemuse résonne, comme un grondement qui pourrait faire trembler terre et arbres. Un frisson se dégage dans ma nuque, puis partout sur mon corps.
  Ces sentiments de peine et de chagrin réunis ne sont que de vaines tentatives d'expliquer mon cœur meurtri par la douleur, à l'idée que cette cornemuse est le signal de laisser partir le corps de Daniel. Je sens les petits bras musclés de David se resserrer autour de ma taille. Ses épaules tressautent alors que j'y renforce mon étreinte d'une main, lui caressant doucement les cheveux de l'autre. Éléona, dont les doigts sont entrelacés aux miens de façon maternelle, retient assez bien sa tristesse. Mais sa mâchoire tremblante et ses yeux voilés la trompent. 
  Un vent nocturne passe dans mes cheveux, faisant voleter les pans bleus de ma robe inspirée des guerrières vikings ; Daniel détestait le noir et l'enterrement de son corps physique ne doit pas nous amener à en porter. Même Estella, en ce jour et cette nuit étoilée, est vêtue exceptionnellement de couleurs que mon père adoptif adorait. Car ce n'est pas un adieu, mais un accueil dans l'Au-delà.
  Le cercueil de verre, placé dans un drakkar, arrive, flottant à mi-hauteur de la fine rivière, dont on voit les reflets de la Lune et des torches bouger au rythme de ses ondulations. J'ai un léger sourire. Daniel était un passionné de viking et son testament le disait : il voulait être enterré comme il se doit.
  David me regarde en pleurant et j'hoche de la tête, sentant la main de George caresser mon épaule. Dans des pas lourds, la vue embrumée à laquelle je ravale péniblement mes larmes, je marche jusqu'au petit drakkar, accompagnée par Éléona, puis Sirius, Remus et Severus. Pour la première fois, il n'y a aucune querelle entre mon grand-cousin et le frère de Daniel ; le décès d'un Être cher laisse place à une vague compassion silencieuse qu'ils partagent en ce jour unique.
  Après quelques minutes d'une marche pesante, attisée de tristesse, Éléona et moi posons une main chacune sur le drakkar, faisant des adieux silencieux. J'observe le corps de Daniel qui repose à l'intérieur du cercueil, vêtue de ses habits de dragonnier, entourés de ses objets les plus précieux, gravant son image à jamais dans mon esprit. Quand j'étais petite, je le croyais imbattable, car c'était l'un des plus grands esprits guerriers que je connaissais. Mais maintenant... je me dis qu'il a mérité son repos. Bien que ce soit trop tôt... Beaucoup trop tôt.
  Avec regret, et lourd chagrin, on laisse le drakkar continuer sa route jusqu'aux chutes d'eau qui coulent derrière le château. Inspirant profondément, d'un mouvement commun avec Éléona, on crée toutes les deux un arc par la pensée et y plaçons une flèche enflammée avant de lever nos bras et souffler lentement... Sous les regards des centaines de personnes tenant à Daniel, je décoche la mienne en murmurant :

- Je t'aime, Papa.

  Nos flèches réunies sifflent l'air dans une si belle harmonie qu'il me parait passer des heures jusqu'à ce qu'elles atteignent le drakkar. Celui-ci s'embrase dans d'ardentes flammes éternelles : flammes que jamais je n'oublierais.
  Tandis que d'autres flèches accompagnent les nôtres, pour les meilleurs tireurs, le bateau viking continue sa route... avant que les flammes ne deviennent une énergie lumineuse qui se sépare en mille poussières étincelantes. Elles s'envolent par le vent, tel du pollen de pissenlit, atteignant les cieux où elles se dispersent en étoile, se définissant en une toute nouvelle constellation qui brille intensément : celle du Yang. Malgré que je lâche un sourire, je ne peux empêcher une larme de couler sur ma joue. Je sais aussitôt... je comprends immédiatement... que lorsque Éléona nous quittera à son tour, elle finira la constellation pour devenir le Yin. 
  Même dans et après la mort, ils continueront d'être à deux cet équilibre sacré.
  Je sens les doigts de George s'entrelacer aux miens alors que mon arc disparait. Je resserre l'étreinte de sa main et prends celle de Tantine de l'autre. Éléona relève sa tête pour me regarder, affichant un sourire maternel mais totalement dérisoire face à son regard brisé. 
  Elle inspire profondément et tend sa main à David, qui continue en donnant la sienne à Severus... et ce, jusqu'à ce que même Fol Oeil, après Remus, Sirius, Tonks et Eileen, le fasse aussi. Alors que Fred met sa main sur l'épaule de son frère jumeau, les doigts entrelacés à ceux de Amy, Estella pose la sienne sur celle de Horace, qui fait de même à Jasper. S'en suit une chaîne humaine, tous solidaires dans cette perte si importante. 
  C'est ce que voulait Daniel. Que le monde soit en paix et qu'on s'aime les uns, les autres. Et aujourd'hui, en ce jour d'au-revoir, c'est ce qui se passe.
  Nos cœurs réunis, des sanglots s'entendant de par et d'autre, la tristesse et le chagrin étant nos alliés pour cette épreuve à surmonter, provoquent plusieurs lumières venant de chacun et chacune d'entre nous... Des boules de lumière chaleureuses qui montent jusque dans les nuages, comme des centaines et des centaines de lanternes.
  Mon cœur se serre douloureusement quand, brusquement, l'insupportable vérité me submerge, plus absolue, plus horrible encore qu'avant : Daniel est mort, il est parti à jamais... Je serre à m'en faire mal le pendentif qu'il m'avait offert, quand j'étais petite. Pourtant, je me refuse de pleurer. Car je l'aperçois. Son Âme est là, à quelques mètres. Posé contre un arbre, il nous regarde en souriant doucement. David, qui pleurait jusque là, écarquille des yeux en le voyant et un sourire s'étale sur ses lèvres alors qu'il lève sa tête vers moi. J'hoche de la tête, lui confirmant que c'est bien lui et qu'on attendra la fin des funérailles pour aller le voir. Mais Daniel disparaît au même moment, me remplissant d'encore plus de chagrin.
  Plus rien ne sera comme avant, maintenant.

Elementum {Tome 5}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant