Chapitre 9 : La toile bavarde

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— Par Augusta, que... Qu'est-ce... Que se passe-t-il ? bégaya la nouvelle reine d'Indeya misérablement, son regard effaré vrillant entre le tableau parlant et la porte toujours close. Qui... qui êtes-vous ?

— Vous ne vous souvenez donc pas ? s'étonna la femme de la peinture, ses lèvres rouges et harmonieuses formant un o de surprise parfait. Cela ne fait pas tant d'années que nous nous sommes vues, pourtant, me semble-t-il.

Au son de cette voix, soyeuse et chaleureuse, et captivée par ce regard qui semblait renfermer le bleu infini des océans illuminés de soleil, la princesse Jade des Ospales comprit enfin qui lui faisait face. Et ce fut à son tour d'ouvrir grand la bouche, à la fois de stupéfaction et d'effroi.

— Par Augusta, c'est impossible. La reine Katherine. Ma tante... Ma tante, est-ce réellement vous là, prisonnière de cette toile ?

Jade décrivit quelques pas hésitants vers la peinture en question, arquant un sourcil sceptique qui exprimait toute sa réticence à croire en ce qu'elle voyait pourtant de ses propres yeux.

— Dire que je suis prisonnière de cette toile serait peut-être une exagération, répondit l'image de sa tante dans un sourire qui lui confirma un peu plus sa folle certitude. Disons que mon âme parvient encore à s'exprimer à travers elle, par delà la Mort.

— Un tableau qui fait parler les morts... murmura Jade comme pour elle-même, levant une main timide pour caresser le bas de la robe de l'ancienne reine d'Indeya. Voilà un tour de magie remarquable. Avez-vous passé quelque marché avec la Sorcière Bleue ? Ou la Magicienne Sans Coeur, peut-être ? Il paraît qu'il existe également une sorcière très puissante qui vit dans les denses forêts de Crystallide. Est-ce donc son oeuvre ?

Un rire léger et aérien emplit la pièce et les oreilles de la jeune fille avec sa douceur enchanteresse.

— Je n'ai passé aucun marché, ma chère nièce. Néanmoins, il est possible que la Magicienne Sans Coeur ne soit pas étrangère à ce miracle, ajouta Katherine dans son habituel sourire énigmatique.

— La Magicienne Sans Coeur ? Ce sort est donc son oeuvre. C'est tout bonnement fascinant. La peinture a l'air pourtant on ne peut plus ordinaire. Les pigments semblent naturels, l'huile également, la toile...

La nouvelle reine s'interrompit quand sa tante secoua imperceptiblement la tête de droite à gauche, faisant virevolter ses cheveux dorés.

— La Magicienne Sans Coeur n'est pas l'auteure de ce tableau. Elle ne l'a pas enchanté non plus. Et vous avez parfaitement raison ; le processus de création de cette oeuvre est on ne peut plus ordinaire. Il n'y a pas mille et une façons de peindre une toile, Jade.

Jade observa longuement le sourire étincelant de mystère de sa tante qui l'avait bercée durant plusieurs mois de sa vie, lorsqu'elle avait séjourné en Indeya pendant son enfance. La reine Katherine avait toujours été la femme la plus sincère qu'elle eut jamais connue, mais également la femme la plus insaisissable. Même immortalisée dans la peinture, cette vérité survivait.

— Je suis persuadée que vous n'êtes pas sans connaître l'Ange des Sourires.

— Mademoiselle Gina ? demanda Jade, fronçant un sourcil, sa curiosité instantanément piquée à vif. Je la connais, en effet. Bien que très peu. Elle ne m'apprécie guère, malheureusement.

Si c'était seulement possible, le sourire lumineux de la reine Katherine s'élargit encore, et ses yeux de saphir semblèrent regarder sa nièce avec une compassion amusée.

— Vous avez toujours accordé trop de votre confiance aux mots. Arrêtez d'écouter, Jade. Regardez.

— Regarder ? Mais regarder quoi, exactement ? Que voulez-vous...

La Table des SeptWhere stories live. Discover now