Chapitre 13 : Lapsi

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Arrivée dans la salle du trône située au centre du palais, Jade se tourna vers son accompagnatrice importune.

— Mademoiselle Gina, croyez-vous qu'il soit possible de descendre dans les cuisines pour y cueillir un en-cas ?

Si les yeux de la peintre avait été suspicieux auparavant, ils semblaient désormais prêts à éclater comme un orage qui gronde depuis trop longtemps.

— Pourquoi vous vous rabaisseriez à aller grignoter en cuisine alors que vous pouvez vous faire servir sur un plateau d'argent dans la salle à manger du roi ? cracha Gina.

Jade fut presque rassurée de retrouver l'hostilité qui teintait la voix rocailleuse de l'Ange des Sourires.

— L'arrivée du roi de Galvin a coupé court à notre déjeuner quotidien. Je ne souhaite néanmoins pas déranger les cuisinières inutilement. Je suis parfaitement capable de me servir moi-même.

Les yeux de Gina se rétrécirent encore. Pourtant, elle finit par hocher la tête et se dirigea vers les escaliers qui menaient au sous-sol.

— Vous avez gagné. Je vous accompagne.

Jade réprima un soupir d'agacement. Avec l'Ange des Sourires sur les talons, l'accès au passage secret lui serait impossible. Et pourtant, le fait que Gina accepte qu'elle – la reine – se rende dans les cuisines était plus qu'étrange. Pire encore que la laisser y aller, elle l'y accompagnait.

Arrivée dans le couloir du sous-sol, Gina ne bifurqua pas à droite en direction de la cacophonie d'ustensiles, mais continua tout droit. Lorsque la peintre arriva devant un tableau que Jade n'avait jamais vu auparavant, elle s'immobilisa. L'Ange des Sourires se tourna vers elle et la toisa d'un air défiant.

— Bon, maintenant vous pouvez arrêter de me prendre pour une idiote. On sait toutes les deux que vous n'avez aucune envie d'aller grignoter en cuisine. Maintenant, arrêtez de jouer aux plus malignes.

Un rictus mauvais tordit les lèvres sombres de Gina tandis qu'elle désignait la toile d'un geste caricatural.

— Je vous en prie, Votre Majesté, railla-t-elle, provocatrice. Passez devant.

Le dédain avec lequel Gina s'était adressée à la reine, rappela à celle-ci que lorsqu'elles étaient seules, Jade n'aurait jamais l'ascendant sur la peintre royale. Cette pensée à la fois dérangeante et stimulante fit naitre un frisson dans le creux de ses reins. Elle regarda alors le tableau plus en détails. Elle était sûre de n'avoir jamais vu cette toile auparavant.

Sur le tableau était peinte une falaise de rochers gris. Sur son sommet, une femme vêtue de bleu se tenait debout. Chancelante, elle semblait sur le point de disparaître dans le vent. Au-dessus d'elle, la lumière pâle du soleil dessinait une timide auréole autour de sa tête.

— Je n'ai jamais vu ce tableau, avoua la reine, hésitante. Le passage ne s'ouvrait pas ainsi, auparavant.

Gina souffla bruyamment et sortit une fine aiguille d'une poche de sa tunique. À l'aide de la pointe de l'épingle, elle se piqua le bout du doigt. Jade décrivit un pas en avant inconsciemment, sa respiration se bloquant dans sa gorge, comme pour réparer ce qui venait d'être fait. La peintre lui lança un regard de pur mépris, avant de se détourner franchement d'elle. Sous le regard ébahi de la reine, la décoratrice du palais appliqua son doigt ensanglanté sur le tableau juste en-dessous du soleil. D'un mouvement expert de la main, elle étala la goutte vermillon sur la toile, comme si peindre à l'aide de son sang était une tâche commune qu'elle réalisait tous les matins. L'astre aux couleurs maladives fut soudain noyé dans un crépuscule explosif qui formait un brasier incandescent dans le ciel. La femme du tableau, comme animée d'une brise magique, s'anima telle une poupée articulée. Toujours dos à ses spectatrices, elle avança d'un pas, puis de deux, et de trois.

La Table des SeptWhere stories live. Discover now