Chapitre 7 : La Reine du Chaos

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ROYAUME D'ELESTHER


« Souvenez-vous toujours, Kiryana. Cela a commencé dans le feu de la haine et de l'envie, cela se terminera dans les larmes du remords et de la compassion. Mais je vous en supplie, veillez à ce que la flamme ne s'éteigne jamais. Vous m'entendez ? Jamais. »

Kiryana, si froide et si calme, posa une main de la pâleur de la neige sur le ventre de la princesse, et une pure aura de lumières bleue et rouge, s'entrelaçant comme deux amantes, tourbillonna tout autour de son corps. Les deux femmes échangèrent un sourire d'adieu qui embrassait tous les sentiments et émotions qu'elles avaient jamais partagés, car aucun mot n'était nécessaire pour décrire le feu qui les avait toutes deux consumées en entier pendant toutes ces années. Elle tourna le dos à la sorcière pour la première et dernière fois.

— Ah !

La reine Marina s'éveilla en sursaut à cause de ce même rêve entêtant, hypnotisant, qui obsédait ses nuits depuis qu'elle était montée sur le trône d'Elesther, le jour de ses dix-huit ans. Elle avait appris par coeur le visage de marbre de Kiryana, qui ressemblait de manière troublante à son amie d'enfance, qui s'était encore une fois mystérieusement volatilisée dans la nature. Peut-être Elisa était-elle une parente de cette sorcière bleue ? Elle l'ignorait. Tout comme elle ignorait l'identité de celle qui prenait la parole dans son rêve de cette voix si douce, si sage, qui semblait à la fois jeune et millénaire. Tout ce qu'elle savait, c'était que cette femme partageait les mêmes mots étranges que ceux qu'avait murmuré sa mère, la reine Danae, juste avant de rendre son dernier soupir, pendant l'incendie qui l'avait vue naître dans le sang et les flammes.

« Veillez à ce que la flamme ne s'éteigne jamais. Vous m'entendez ? Jamais. »

Que pouvez bien vouloir dire ces mots énigmatiques, au sens encore et toujours insondable ? Sa mère les avait peut-être entendus pour la première fois de la bouche de cette mystérieuse femme, ou bien de la bouche de Kiryana. Ou alors, peut-être cette femme était-elle...

— Votre Majesté ?

La jeune femme s'extirpa de ses draps et se libéra des longues mèches couleur de jais qui s'étaient enroulées possessivement autour de sa nuque. Elle enfila une large robe de soie rouge, avant de répondre d'un ton clair et autoritaire.

— Oui, Damian. Je suis réveillée. Appelez ma suivante afin qu'elle m'apprête pour le voyage.

— Tout de suite, ma reine.

Si la reine d'Elesther s'était adressée avec autant de nonchalance à cet homme qui avait pourtant troublé son réveil lent et douillet, c'était bien parce que celui-ci n'était pas n'importe quel homme. Après lui avoir instruit les rudiments de l'art de la musique durant toute son enfance – un voeu de sa mère, lui avait-on conté –, Damian avait ensuite quitté le palais pour s'engager dans les rangs du Cloître des Dévoués, situé à l'autre bout du Continent, dans le Royaume des Andes. Il était revenu exactement à temps pour apaiser le courroux de la reine Marina, alors surnommée la Reine du Chaos pour ses châtiments cruels et sanglants, pour lui confier les derniers mots chuchotés par sa mère avant sa mort, dont il avait été témoin malgré lui. La légende racontait que la voix de Damian, autant que ses doigts courant sur le piano, avaient un tel don de persuasion qu'il pouvait charmer même la plus sombre des âmes. Et c'est exactement ce qu'il avait fait. La dévotion de celui que l'on appelait le Musicien des Âmes envers la reine Danae, additionné aux chaleureux souvenirs d'enfance remplis de musique et de rire, avaient fini de convaincre Marina de le nommer Chancelier. Elle avait ainsi appris à partager son pouvoir qu'elle gardait jalousement entre ses mains brûlantes d'un désir perpétuel d'action, et le retour du Musicien des Âmes célébra la mort de la Reine du Chaos.

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