CHAPITRE IV - UN DEJEUNER ABSOLUMENT AGREABLE

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Chemise blanche impeccable, pantalon à pince noir, ceinture en cuir et argent, cravate, gilet, chaussettes, veste, chaussures. Lunettes.

Me voilà fin prêt à affronter le déjeuner familial. Je donnai un dernier coup de peigne à ma tignasse brune pour la plaquer sur ma nuque puis j'ouvris la porte en prenant une grande inspiration.

Un visage poupin agressa ma vue et je rentrai dans un corps mou. Je reculai précipitamment en arrière, bafouant des excuses, me perdant, recommençant.

Un rire cristallin m'interrompit et je relevai enfin la tête, le visage sûrement cramoisi. Devant moi, Lizbeth Carlyle en personne, la main encore levée pour frapper à la porte. Son bras crème retomba sur sa crinoline bordeaux. Lentement, comme s'il ne pesait que le poids d'une plume et que l'air avait le pouvoir de le faire évoluer à sa guise. Puis il remonta, évanescent, se présentant à mon visage.

Avec empressement, j'effleurai ses doigts manucurés.

De nouveau ce rire cristallin, aussi rafraîchissant qu'un ruisseau par une étouffante chaleur.

- Mon cher Lévi, je vois que vous ne tenez toujours pas en place !

Je me raclai la gorge, réajustai mes lunettes, repris contenance. Quand mon cœur eut fini de jouer la danse du Diable, je réussis à sortir un petit sourire minable et crispé à Lizbeth. Je désignai l'escalier au bout du couloir d'où nous parvenaient des éclats de voix.

- C'est que, chère sœur, vous m'avez surprise. Comment vous portez-vous ?

Si toute sa personne dégageait une légèreté longuement travaillée dans des salles de danse, ses pas restaient hésitants parfois trébuchants, rappelant une timidité excessive appartenant au passé.

Je la dévisageai tandis qu'elle me précédait dans les escaliers.

Oh, rien que sa tenue d'abord, de peur d'être surpris en flagrant délit. On ne dévisageait pas les dames, surtout pas celle de mon frère. Je fus pris d'une grimace.

Le doux froufroutement du velours bordeaux à fines rayures bleues qui balayait les marches me sortit de ma torpeur. Lizbeth... toujours à la dernière mode avec ses volants astucieusement disposés sur le faux-cul et sa jupe fourreau mettant en valeur sa si jolie silhouette. Son ventre rond s'apercevait à peine sous la gaine à boutons de cuivre qui soulignait son décolleté blanc.

Le rouge me monta aux joues. Juste à temps, son bras enserré dans une manche à rubans, détourna mon attention sur son visage. Un visage harmonieux sans être beau, un visage attirant grâce à quelque chose que les autres n'ont pas sans savoir quoi.

Peut-être son nez busqué encore marqué par les affres de la jeunesse mais qui se plissait adorablement quand elle riait ou ses lèvres minuscules, rondes et roses et douces comme des boutons de rose à peine éclos. Je plongeai dans ses yeux. Peut-être ses yeux oui. Des yeux bruns et doux sous des cils interminables qui vous regardaient toujours avec une indicible bonté. Et quand elle vous lançait ce regard innocent, elle secouait lentement la tête, agitant ses boucles blondes et son chignon impec...

- Eh bien, Lévi ?

Je sursautai. Disons que ça changeait de la voix sucrée de Lizbeth. J'aperçus mon frère, qui me fixait avec un regard noir quelques marches plus bas. Un soupir m'échappa.

Lizbeth était une femme généreuse contrairement à son mari, malingre à cause d'un cruel manque de sport et sec en toute circonstance. Envolé son bienveillant sourire de grand frère, il défendait à présent son territoire et tentait d'asseoir son influence dans la maisonnée par la même occasion.

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