CHAPITRE XXXVIII - PREMIER ACTE

1 0 0
                                    

Le sourire crasseux d'un des gamins de Schoemaker m'accueillit. Ils étaient là, une dizaine, devant la porte latérale de l'église, drapés de tissus sombres, se fondant dans la nuit aussi aisément que des ombres. Pas un, à vue de nez, ne dépassait les vingt ans.

Hawkins balança le sac qu'il trimballait depuis le club avec un gros soupir de soulagement. Le contenu alla s'étaler dans la terre du cimetière avec force de cliquetis métalliques.

Ma main fusa frapper l'arrière de la tête de Hawkins qui couina.

- Silence ! Vous autres, choisissez en une et assurez-vous qu'elle soit chargée. Aller ! encourageai-je en ne voyant aucun obéir.

Les doigts hésitants finirent par approcher, se saisirent des armes et bientôt tous les gamins pitoyables donnaient beaucoup moins envie de s'apitoyer. Leurs trognes de délinquants suivirent bien vite et ils eurent l'air de parfaits criminels.

Je fis signe à Hawkins. Il hocha de la tête et s'accroupit devant la porte, tâtonnant dans la nuit pour trouver la serrure. Il avait l'air parfaitement calme.

Quand je le lui avais fait remarquer, il s'était contenté de hausser les épaules en prétendant que pour l'East End, la vie commençait quand le jour tombait.

Et quelle nuit, bon sang ! Froide, humide, sans lune. Et il y avait ce brouillard qui glissait en nappes silencieuses sur la ville, renfermant qui sait quels secrets. La lampe que je trimballai depuis le club pesait au bout de mon bras et je résistai à peine à l'envie de l'allumer sur le champ. Mais selon Hawkins, l'obscurité était la meilleure alliée.

Le voici d'ailleurs qui se relève et pousse la porte qui grince sur ses gonds en pivotant vers le ventre noir de l'église.

- Après vous.

Je laissai sagement les autres entrer avant moi. Leurs silhouettes disparurent une à une et il ne resta bientôt que moi et Hawkins.

- T'as peur ou quoi ? s'esclaffa-t-il.

- Non, marmonnai-je, peu convaincu moi-même.

Il disparut dans les ténèbres de la maison de Dieu et je fus bien contraint de le suivre, me demandant vaguement comment j'avais finis par atterrir ici.

- Tu devrais, lâcha-t-il soudain, sa voix funèbre résonnant entre les vieilles pierres comme un avertissement divin. Ça pourrait bien te garder en vie.

L'autel se dressa devant nous, déjà pris d'assaut par mes petites ombres noires. On dirait des corbeaux, pensai-je sombrement. Je me mis sur mes genoux devant le gros bloc de marbre blanc sculpté et demandai d'un murmure, comme pour ne pas briser ce silence de foi qui m'avait tant réconforté autrefois : « qui ? ».

- Moi, s'avança une gamine aux genoux cagneux et regard chassieux. Il faut baisser l'ange à la gauche du gars cloué puis pousser vers le fond.

Un instant, je m'ébahis de l'ignorance de ces oiseaux mais Hawkins y coupa court en actionnant d'un coup sec qui craqua comme un tonnerre le levier caché. Répondant à un ordre muet, tous se mirent à pousser... pousser... et un gouffre s'ouvrit devant moi. Un vent de mort en remonta et souffla mes cheveux.

Le premier à sauter fut un garçon noir comme le charbon puis une fillette blonde comme les blés, un garçonnet au visage rond de poupée... ils disparurent tous, avalés. De nouveau, Hawkins et moi, seuls à part la petite silhouette encore présente pour refermer derrière nous. Mes doigts avaient blanchis tant je serrai les poings, dans mes poches.

- Tu veux que je t'aide ? encore ?

Un regard venimeux l'en dissuada. Il était déjà prêt le bougre ! Alors qu'il rouvrait la bouche, je me relavai et avançai un pied puis deux au-dessus du passage... et disparut aux yeux du monde.

CUPIDITASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant