CHAPITRE XVI - PARTENAIRE

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Je m'attendais un peu à trouver un tas de malfrats couverts de cicatrices dégageant les effluves de latrines bouchées, certainement pas cette explosion de rires et de couleurs parfumées.

Dans une grande pièce basse de plafond et sans fenêtres, aux murs tendus d'étoffes éclatantes se tenaient cent conciliabules étouffés par les tapis moelleux. Sous l'éclairage tamisé, à travers la fumée des cigares dansaient des silhouettes troubles au rythme de quelques accords de violon ; des hommes affalés sur des divans, des femmes, la plupart encore filles, avachies sur des hommes. Leurs robes en soie précieuse ondulaient dans la douce obscurité, lançant mille reflets, leurs dents brillaient fugacement à la lueur des bougies. Ça sentait la sueur, le parfum et l'encens. Ça sentait le désir et la chaleur.

Je fronçai les sourcils. Une maison de plaisir ? Je me retournai vers Blackhorn et Hawkins, qui pilèrent net en se fonçant dedans. Je retins un ricanement nerveux.

- Vraiment ?

Eux, ne se génèrent pas.

- Et alors ? C'est bien ici, il y a plein de chambres douillettes.

Je grimaçai.

- Ne sois pas ingrat, renchérit Hawkins en me souriant de travers. Ces filles sont superbes.

Je n'eus pas le temps de répliquer. Une main se posa sur mon épaule et je sursautai violemment. Mais aucun rire ne retentit. La main, aux longs doigts fins et pâles, tenait une longue pipe, fine, en bois noir, autour de laquelle s'enroulait un dragon chinois doré, et elle portait une bague qui renvoyait des reflets rubis.

- Voilà donc notre jeune hôte sur pied, fis une voix suave au parfait accent.

Lentement, je me retournai et restai béat. Trait pour trait, c'était la chinoise du portrait au fusain de Blackhorn. Même regard énigmatique qui s'était fixé sur Hawkins, même apparente candeur qui cachait bien des secrets, même visage lisse et pâle. Mais cette fois, ses longs cheveux noirs étaient relevés en chignon compliqué par une multitude de peignes sculptés, dévoilant ses épaules blanches et graciles. Un long kimono carmin qui happait toute la lumière de la pièce laissait largement entrevoir de longues jambes musclées, complétait le tableau. Mais qu'importe sa tenue, elle ressemblait à une véritable reine.

- Bon (Dieu !)... jour, bredouillai-je intelligemment en plaquant mes cheveux récalcitrants en arrière.

- Adorable en plus de ça ! Je vous en prie, mes amis, allons discuter loin de toute cette agitation, chanta-t-elle en désignant une porte gardée par une fille en sobre robe noire. Victoria ! appela-t-elle, la voix toujours douce mais empreinte d'une autorité telle que je me pris de l'envie de lui obéir, quoi qu'elle puisse dire comme un bon toutou.

Une jeune fille toute empêtrée dans ses jupes trébucha vers elle et elle la redressa brusquement, le regard dur. Je piétinai, mal à l'aise, sentant ses doigts tièdes à travers la tissu de ma chemise qui s'accrochait à moi, comme pour me retenir de fuir.

- Surveille que ces messieurs n'oublient pas comment se comporter, je dois m'absenter. C'est compris ?

- Oui, Madame.

Je m'aperçus que les deux autres n'avaient plus ouvert la bouche depuis plusieurs minutes, ce qui tenait du miracle, et s'étaient redressés. En réalité, ce ne fut pas pour me rassurer. Peut-être qu'il y a quelques semaines, j'aurais eu une aveugle confiance en cette femme bien éduquée mais j'avais appris que sous des dehors impeccables, on pouvait découvrir les êtres les plus vils. Sans un mot, nous la suivîmes dans la salle attenante, un petit salon cosy. Une fois tous installé, elle appela quelqu'un et commanda un plat de pâtisseries.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now