CHAPITRE VIII - ECHEC ET MAT

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- Echec.

J'appuyai sur le chronomètre et me rencognai dans mon fauteuil pour regarder au-dehors. On se serait cru la nuit, il pleuvait sur fond de ciel orageux. L'humeur n'était pas non plus au beau fixe.

Tous semblaient croire que je m'étais infligé cette blessure, mes parents plus que tous les autres. Mais n'avaient-ils pas raison ? Ne m'étais-je pas, en effet, livré à ça, avec les mots ? Je me passai une main sur la nuque et grimaçai.

La pluie crépitait contre les carreaux. Le tic-tac du chronomètre accompagnait ma réflexion.

Clic.

Je reportai mon attention sur le plateau de jeu. Aaron, le seul qui avait bien voulu me voir ces dernières heures, avait fini de jouer. Sans lui lancer un regard, j'analysai la nouvelle situation.

Aaron, encore ici, était un as, il semblait touché par la grâce de Dieu. Vous lui donniez un paquet de cartes et son visage se transformait radicalement. Il comprenait les rouages de n'importe quel jeu, trouvant des failles et des occasions partout en quelques instants, instinctivement.

Si, au bout de quelque temps, pendant ces longues après-midi, il fût évident que j'avais des dispositions pour ce domaine, je ne lui arrivais pas à la cheville. Il aimait à dire qu'un jour je le battra à l'époquei. Je savais que c'était faux. Il était un génie. Chaque partie, il la maîtrisait du début à la fin. Et c'était ce qui me fascinait ; plus que gagner, je voulais comprendre. Comprendre cette capacité à voir les failles dans les règles, les failles dans les joueurs.

Je cherchais toujours.

Clic.

- Echec.

Un sourire sur ses lèvres, fugace ; il reprit aussitôt son sérieux mais il y avait cet éclat provocateur dans ses yeux, le même que ce jour-là.

C'était un lundi, il revenait d'une de ces longues réunions où l'emmenait Père. Il avait l'air exténué mais en entrant dans la bibliothèque, en me voyant avec cet énorme volume en latin dans les mains, l'air d'un chien battu (ce qui pouvait se comprendre), il avait consenti à jouer avec moi.

Il avait choisi un nouveau jeu. Avec une douceur presque religieuse, il avait sorti le damier noir et blanc d'un placard, puis les pions d'une petite boite en bois noir et luisant tapissée de velours rouge à l'intérieur. Il les avait lentement disposés avant d'enfin ouvrir la bouche.

Déferlement de règles, édictées d'un ton machinal.

Je n'avais plus voulu jouer avant même d'avoir touché le Roi.

Clic.

Sa stratégie se craquelait lentement. Mon cavalier revint immédiatement à la charge par une ouverture insoupçonnée.

- Echec.

Clic.

Le lendemain, il m'avait remis le plateau dans les mains, et m'avait raconté une histoire. Celle de deux royaumes qui se livraient une guerre infernale depuis des années. C'était la bataille décisive, il fallait donner le tout pour le tout. Mais il ne fallait pas perdre. Surtout pas. Sinon, nous étions morts.

Alors pour gagner, il fallait réfléchir, ne pas foncer tête baissée, prévoir les mouvements adverse pour mieux contre-attaquer, savoir écouter pour mieux détourner.

Sinon, on mourrait.

Chaque sujet, chaque soldat et cavalier devait respecter des règles simples pour ne pas que la bataille se transforme en débâcle. On devait tuer le Roi noir.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now